Le charisme de prophétie (Cardinal Ratzinger, 2000)

L'Église catholique a toujours eu une grande prudence vis à vis des manifestations supposées de l'Au-delà. Cependant, elle a pu, par la voix de ses pasteurs légitimes, reconnaître le caractère authentique de ces interventions.


Face à ces faits, deux attitudes extrêmes sont fréquentes :


- une trop grande crédulité qui manque de discernement. Une importance exagérée accordée à des "messages" qu'on finit par mettre au-dessus de la Parole de Dieu révélée. Une "ferveur" qui fait par exemple entreprendre des pèlerinages répétés, mais qui risque de détourner de son devoir d'état quotidien. Il faut rappeler que la foi théologale se fonde sur l'Écriture Sainte et la Tradition interprétées et transmises par le Magistère de l'Église. L'amour réaliste du prochain uni à l'amour de Dieu est le critère dernier et ultime du baptisé.

- une suspicion "à priori", qui fait rejeter toute possibilité d'intervention d'origine surnaturelle par des canaux parfois surprenants et par des personnes pouvant être gratifiées de charismes authentiques, notamment celui de "prophétie" (cf St Thomas. Somme Théologique II a II ae QU 171 à 174). Il faut ajouter que les milieux cléricaux, notamment en France, sont en général peu ouverts à examiner de près ces questions. Il en résulte pour nombre de baptisés un manque d'information et d'aide au discernement. Le charisme de prophétie n’est pas réservé à l’Ancienne Alliance !

Pour nous, baptisés ou non, un texte du Cardinal Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, va nous enseigner sur la place que peuvent tenir ces "révélations" dans la foi de l'Église (1) : il s’agit du charisme de « prophétie ».

" L'enseignement de l'Église distingue entre la "révélation publique" et les "révélations privées". Entre ces deux réalités, il y a une différence non seulement de degré mais de nature. Le terme "révélation publique" désigne l'action révélatrice de Dieu, qui est destinée à l'humanité entière et qui a trouvé son expression littéraire dans les deux parties de la Bible : l'Ancien et le Nouveau Testament. On l'appelle "révélation" parce qu'en elle , Dieu s'est fait connaître progressivement aux hommes, au point de devenir lui-même homme, par son Fils incarné, Jésus-Christ.(…). Dieu étant unique, l'histoire qu'il vit avec l'humanité est unique ; elle vaut pour tous les temps et elle a trouvé son accomplissement dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ : en Christ, Dieu a tout dit, c'est-à-dire lui-même, et donc la révélation s'est achevée avec la réalisation du mystère du Christ, qui a trouvé son expression dans le Nouveau Testament…

Le Catéchisme de l'Église catholique dit à ce sujet : "Même si la Révélation est achevée, elle n'est pas complètement explicitée ; il restera à la foi chrétienne d'en saisir graduellement toute la portée au cours des siècles " (n.66). Les deux aspects, à savoir le lien entre l'unicité de l'événement et la progression dans sa compréhension, sont très bien illustrés dans le dernier discours du Christ, lorsque, faisant ses adieux aux disciples, il leur dit : "J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant, vous n'avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière. " (Jn 16,12-14).(…). Dans ce contexte, il devient désormais possible de comprendre correctement le concept de "révélation privée", qui se réfère à toutes les visions et à toutes les révélations qui ont eu lieu après la conclusion du Nouveau Testament : " Au fil des siècles, il y a eu des révélations dites "privées", dont certaines ont été reconnues par l'autorité de l'Église.(…) Leur rôle n'est pas de compléter la Révélation définitive du Christ, mais d'aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l'histoire "(n.67).

Deux éléments sont ainsi clarifiés : 1/ L'autorité des révélations privées est substantiellement différente de l'unique révélation publique : cette dernière exige notre foi…certitude sur laquelle j'édifie ma vie et à laquelle je me confie en mourant.

2/ La révélation privée est une aide pour la foi, et elle se manifeste comme crédible précisément par ce qu'elle renvoie à l'unique révélation publique. Le Cardinal Lambertini, futur Pape Benoit XIV, dit à ce sujet dans son traité classique devenu ensuite normatif pour les béatifications et canonisations : "Un assentiment de foi catholique n'est pas dû à des révélations approuvées de cette manière ; ce n'est même pas possible. Ces révélations requièrent plutôt un assentiment de foi humaine conforme aux règles de la prudence, qui nous les présentent comme probables et crédibles dans un esprit de piété".

Le théologien flamand E. Dhanis, éminent connaisseur de cette question, affirme que l'approbation ecclésiale d'une révélation privée comporte trois éléments : 




Un tel message peut être une aide valable pour comprendre et mieux vivre l'Évangile à l'heure actuelle ; c'est pourquoi il ne doit pas être négligé. Il est une aide qui est offerte, mais dont il n'est nullement obligatoire de faire usage (…).

L'Apôtre Paul écrit :"N'éteignez pas l'Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose, ce qui est bien, gardez-le " (1-Thes 5,19). A toutes les époques est donné à l'Église le charisme de prophétie, qui doit être examiné, mais qui ne peut être déprécié.

A ce sujet, il convient de tenir compte du fait que la prophétie au sens biblique, ne signifie pas prédire l'avenir, mais expliquer la volonté de Dieu pour le présent, et donc montrer la voie droite pour l'avenir. Celui qui prédit l'avenir satisfait à la curiosité de la raison, qui désire ouvrir le voile de l'avenir ; le prophète, quant à lui, satisfait à l'aveuglement de la volonté et de la pensée, et éclaire la volonté de Dieu comme exigence et indication pour le présent. Dans ce cas, l'importance de la prédiction de l'avenir est secondaire. Ce qui est essentiel, c'est l'actualisation de l'unique révélation, qui me concerne en profondeur : la parole prophétique est un avertissement ou encore une consolation, ou même les deux à la fois.


(1) Comprendre le sens du message de Fatima. Commentaire théologique du Cardinal Ratzinger

Documentation catholique du 16 juillet 2000 , page 678 à 683.

Des révélations "privées" peuvent avoir des effets dans la liturgie catholique elle-même : fête du Corps du Christ avec Ste Julienne du Mont Cornillon (Belgique, 1229 ) ; fête du Sacré-Cœur avec Ste Marguerite-Marie (France, 1672) ; dimanche de la Miséricorde avec Ste Faustine Kowalska (Pologne, 2000). Sainte Catherine de Sienne a été faite docteur de l’Eglise en raison de son œuvre prophétique « Le Dialogue ». Sainte Hildegarde de Bingen le sera prochainement (octobre 2012) en raison de son œuvre spirituelle et prophétique.

De très nombreux « messages » de l’Au-delà circulent aujourd’hui dans l’Église…dans certains milieux, cela crée beaucoup d’effervescence et de passion ! Il faut raison garder et ne retenir que ce qui a été soigneusement examiné par des commissions ad hoc nommées en général par les évêques diocésains. A la suite de ces procédures très sévères et sélectives, il se peut que l’évêque diocésain publie un mandement reconnaissant l’authenticité surnaturelle de ces « messages ».

A propos de « faits » qui se sont produits entre 1947 et 1993, la situation actuelle est la suivante :

La Vierge des larmes de Syracuse (1953), reconnue par Mgr Baranzani, le 12 décembre 1953

Les évènements d’Akita, au Japon (1973-1981), reconnus par Mgr Ito, le 22 avril 1984

Les apparitions de Yagma et Louda au Burkina Faso (1986-1993), reconnues par Mgr Constantin Guirma, le 20 novembre 1994

Les apparitions de Kibeho au Rwanda (1981-1983), reconnues par Mgr Misago le 29 juin 2001

La Dame de tous les Peuples d’Amsterdam (1947-1959), reconnue par Mgr Punt le 31 mai 2002

Il faut ajouter, à un degré moindre mais significatif :

L’autorisation de Culte à Notre-Dame de la Prière à l’Ile Bouchard (1947, France), par Mgr Vingt-Trois, le 8 décembre 2001, en tant qu’archevêque de Tours.

Les apparitions de San Nicolas en Argentine (1983-1990) : l’évêque, Mgr Castagna, a constamment suivi et approuvé les « messages » ; il préside aux liturgies sur place et a fait construire la nouvelle basilique demandée par la Vierge Marie.

De nombreux cas sont aujourd’hui connus et controversés ; on peut citer : les faits de Medjugorge (Bosnie-Herzégovine) ; l’œuvre de Maria Valtorta, mystique italienne (+ 1961) ; les écrits spirituels de Conchita Cabrera, mystique mexicaine (+1937) ; la « mission pour l’Unité » de Mme Vassula Ryden, orthodoxe et encore bien d’autres…

Terminons en rappelant que c’est la Parole de Dieu contenue dans la Bible et transmise par l’Eglise qui a la priorité sur tout autre écrit et ensuite les commentaires qui ont été faits par les Pères et Docteurs de l’Eglise.




source : reçu par courriel