Voici le lien vers un article daté du
13 septembre 2009, dans lequel le
Cardinal nommé comme ministre de la culture par le Pape au Vatican, Mgr Gianfranco RAVASI (il fait partie des 3 évêques qui auraient été déclaré "papables" par un expert aujourd'hui) s'exprime d'une manière fort intéressante et profonde sur la
confrontation entre l'Eglise et les valeurs qu'elle véhicule et l'art moderne actuel...
http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/Mgr-Gianfranco-Ravasi-L-Eglise-doit-accepter-la-confrontation-avec-l-art-moderne-_NG_-2009-11-13-568723Mgr Gianfranco Ravasi : « L'Église doit accepter la confrontation avec l'art moderne »
Dix ans après "La lettre aux artistes" de Jean-Paul II, le nouveau « ministre de la culture » du pape, Mgr Gianfranco Ravasi, suscite une rencontre de Benoît XVI avec les artistes, le 21 novembre 2009, dont il espère qu'elle marquera un tournant dans les relations entre l'Église catholique et l'art
Jean-Paul II : « L'art est, par nature, une sorte d'appel au Mystère » MGR GIANFRANCO RAVASI PRÉSIDENT DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA CULTURE
La Croix :
Benoît XVI déclarait récemment : « La beauté doit être en harmonie avec
la vérité et la bonté ». Va-t-il à contre-courant de la création
artistique contemporaine ? Mgr Gianfranco Ravasi : Un grand artiste américain me disait dernièrement :
« Les artistes
contemporains excluent deux choses : la beauté et le message. » C'est
cet horizon contemporain que nous voulons considérer, tel qu'il est.
Sur ce point, on peut vraiment parler de divorce avec l'Église. Car l'art contemporain semble pour une grande part avoir exploré toutes les voies de la déconstruction, du nihilisme, pour nous amener à constater l'inconsistance de l'être, démontrant que plus rien ne vaut rien, jouant de la provocation sur l'absence de sens de notre réalité.
Mais, affronté à cet itinéraire, ce même art se trouve automatiquement en
passe de se détruire, car l'objectif ultime ne peut être que le silence
de la mort, du suicide.
Le tableau est-il si noir ? Face à cette situation, nous nous sommes interrogés. Nous constatons que le
cinéma, pour sa part, persiste à se questionner,
en livrant un message. Stanley Kubrick, même si ses dernières oeuvres semblent très désespérées, continue à raconter, à vouloir dire quelque chose. Ou encore un Giuseppe Tornatore (
Cinéma Paradiso) - sans oublier Buñuel, Bresson et d'autres.
De même, le vidéaste américain Bill Viola, qui sera présent à la Sixtine, travaille
sur l'eau comme symbole de purification, sur la lumière comme symbole de
transcendance ; il s'intéresse à la mort, à la vie après la mort.
Chacun peut y être sensible. Il nous a donc semblé que le moment
était venu pour une nouvelle proposition :
engager les artistes à se
réapproprier les grands symboles, les grandes narrations, les grands
thèmes, les grandes figures. Claudel voyait dans la Bible un « grand lexique », et Chagall en parlait comme d'un « alphabet teinté d'espérance dans lequel les artistes de tous les siècles ont trempé leurs pinceaux. ».
Ainsi, le Saint-Siège va inviter des artistes à la Biennale de Venise, leur proposant de
travailler sur les onze premiers chapitres de la Genèse, qui portent en eux toute la vie de l'humanité.
Allez-vous inciter les artistes à se faire catéchistes ? Pas du tout. L'artiste ne doit pas faire une oeuvre directement catéchétique.
L'esthétique authentique, lorsqu'elle touche les grands thèmes, peut s'interroger et nous interroger sur le sens de la vie, même si elle ne prend pas en compte le message évangélique. Une esthétique artistique authentique, par nature, touche l'éthique.
Henry Miller disait : « L'art ne sert à rien, si ce n'est à déployer le sens de la vie. »
Peut-être ensuite aboutirons-nous à des résultats dans l'art sacré, proprement religieux ou liturgique, mais ce n'est pas notre objectif premier. Ce sera une étape ultérieure, qui fera droit à cette pensée de l'écrivain
Herman Hesse : « L'art, c'est montrer Dieu en toutes choses. »
Jean-Paul II évoquait une « nouvelle alliance » avec l'Église ? Est-ce votre projet ? Oui. Nous croyons à la possibilité d'une rencontre entre la foi et l'art, pourvu que l'art sorte de son impuissance provocatrice. De même, l'Église ne doit plus s'en tenir à une récupération hasardeuse de styles anciens et à des productions artisanales sans ambition. Elle doit accepter la confrontation avec ces nouvelles grammaires, à ces nouvelles modalités d'expression. Ce dialogue-là serait fécond pour elle.
Serait-ce une nouveauté ? Pas du tout. Au fil des siècles, l'Église a toujours veillé à s'exprimer à travers les nouveaux langages. En son temps, le chant polyphonique a été une véritable révolution. De même, la théologie chrétienne s'est élaborée en tenant compte des grandes traditions philosophiques païennes de son temps.
Les nouvelles expressions artistiques contemporaines doivent ainsi être prises en compte pour une nouvelle expression du message évangélique. Prenons l'exemple de la musique contemporaine, à partir du dodécaphonisme. Elle propose une
grammaire nouvelle, une stylistique ardue qui nécessite un véritable travail. Nous devons le prendre en compte.
Quelle discipline artistique aujourd'hui vous semble la plus apte à entrer en dialogue avec l'Église ? Je pense notamment à
l'architecture. La plupart des grands architectes ont tous déjà construit une église. On peut citer Renzo Piano (église Padre Pio à San Giovanni Rotondo, Italie), Richard Meyer (église Tor Tre Teste, près de Rome), Massimiliano Fuksas (à Milan), Tadao Ando (qui réalisa plusieurs églises au Japon), etc. Et n'oublions pas Le Corbusier avec Ronchamp. Tous se sont attachés à modeler l'espace dans sa nudité, jouant sur la lumière, l'intimité
Mais avec une carence :
l'éloignement des autres expressions artistiques.
Car si une église contemporaine présente souvent un intérieur magnifique, on constate que l'architecte ne s'est pas toujours préoccupé des objets du culte.
C'est ainsi qu'on voit des autels, des statues, un mobilier disparate, insuffisamment pensés dans cet espace, pourtant magnifique. Alors qu'au
contraire, un Francesco Borromini, le rival du Bernin ici à Rome,
proposait avec ses églises un ensemble cohérent, harmonieux. Voilà un
défi pour aujourd'hui.
L'Église peut-elle accepter une part de provocation ? Oui. Buñuel provoque sans pour autant blasphémer. La limite est la
provocation du vide, qui nous enferme dans un cercle mortifère. Une
telle provocation est vouée à sa propre fin. Autre chose est un cri ou
une protestation, qui peuvent être stimulants, féconds. Relisez
Nietzsche !
Votre sentiment est-il partagé par le pape ? Lorsque je lui ai proposé le principe d'une telle rencontre avec les artistes, Benoît XVI a immédiatement accepté. Il souhaite un véritable dialogue. Il sait que nous ne sommes plus les enfants de l'Antiquité classique, du classicisme. Nous ne pouvons plus écouter Stockhausen comme on écoute Mozart. Cela nous demande à tous un travail.
Le pape est fondamentalement curieux de toutes les tentatives pour
comprendre ce monde nouveau. Il est prêt à être surpris. Nous sommes au
tout début d'un nouveau dialogue.
Pourquoi organiser cette rencontre à la chapelle Sixtine ? D'abord parce que c'est là qu'eut lieu, il y a quarante ans, la première rencontre entre Paul VI et les artistes : son discours à cette occasion est resté dans les mémoires. Ensuite, la Sixtine est peut-être le symbole le plus fort de la rencontre entre l'art et la foi. Enfin, elle est le lieu par excellence où l'Église se régénère, puisque c'est là qu'est élu le Saint-Père.
Frédéric MOUNIER, à Rome