Ne vous laissez pas « ningunear »

Ne vous laissez pas « ningunear »



2013-10-11 L’Osservatore Romano

Le temps est trompeur. Quand a-t-il dit, en réalité, que nous ne devons pas nous laisser ningunear? A Rome, au Brésil ou dans une salle de l'école de l'Immaculée, à Santa Fe, lorsqu'il n'avait même pas encore été ordonné prêtre et que nous étions des adolescents vivant un âge heureux, avec peu de responsabilités? Je ne le sais pas, je ne m'en souviens plus très bien, mais je ne veux pas non plus dépendre des moteurs de recherche sur internet, qui d'ailleurs, mentent souvent. D'autre part, il est difficile de se rappeler de tout, même si on le voudrait. No se dejen ningunear. La seule chose dont je me souviens clairement est que Jorge Mario Bergoglio l'a dit non pas une fois, mais plusieurs fois. Et qu'il le répétera.

D'un point de vue logique, on ne comprend pas comment on peut conjuguer comme un verbe un mot comme « personne » (ninguno), qui est un adjectif et un pronom indéfini. Mais Bergoglio l'a fait.

Ningunear est une attitude offensive, méprisante. Cela veut dire: ne pas accorder de valeur à quelqu'un ou ne pas l'écouter, l'ignorer, faire comme s'il n'était pas là, comme si son opinion n'avait pas d'importance, comme s'il comptait peu ou pas.

Je l'ai entendu le prononcer plus d'une fois: « Ne vous laissez pas ningunear comme chrétiens, apportez votre témoignage ». Mais aussi: « Vous ne devez pas ningunear ceux qui souffrent, qui ne trouvent pas de travail et ceux qui n'ont pas d'argent ». Toujours avec ce message à fleur de peau.

Le temps embrouille ma mémoire. Je me sens de nouveau adolescent, parlant, discutant parfois, avec cette véhémence juvénile qui pensait réussir à faire face à tout, devant le maître jésuite qui démolissait notre solennité de jeunes par une blague, une histoire, un commentaire sur le football qui nous laissaient songeurs.

« Ne te laisse pas ningunear ». Le conseil était davantage celui d'un frère que d'un père qui sait ce qu'il te dit et qui te redonne confiance en toi. En ces jours d'école, peu importait si le conseil s'adressait à un professeur, à des compagnons qui se croyaient meilleurs que les autres ou à un amour de jeunesse sans espoir, qui nous avait fait sombrer dans la dépression.

Car lorsqu'il s'agit de prêcher, tout sert. Pour les soldats de Loyola, tout pouvait servir d'arme pour annoncer l'Evangile. Et la parole est l'arme principale, peu importe qu'elle soit correcte sur le plan linguistique ou qu'elle soit née dans les périphéries de la ville. L'important est qu'elle soit chargée de sens et qu'elle puisse faire arriver à l'autre le message du Christ.
Jorge Milia

Source : http://www.news.va/fr/news/ne-vous-laissez-pas-ningunear