Nous ne voulons pas refaire le monde, juste éviter qu’il ne se défasse !

Nous ne voulons pas refaire le monde,
juste éviter qu’il ne se défasse !



Les Veilleurs ont commencé leur marche le 10 août denier. Boulevard Voltaire a souhaité faire un point avec l’un de leurs porte-paroles, Gaultier Bès, à quelques jours de leur arrivée, le 31 août, à Paris.


La Marche des Veilleurs, combien de divisions ?

Je dirais qu’environ deux cents personnes, des jeunes majoritairement, se sont relayées de Rochefort à Nantes. Nous avons toujours été au moins vingt à marcher, et jusqu’à quarante. Beaucoup nous ont rejoints plusieurs heures ou plusieurs jours, prolongeant souvent leur participation. Nos veillées ont rassemblé entre soixante et trois cent cinquante personnes. Mais les chiffres importent peu. Ce qui compte, c’est d’avoir tissé des liens forts, entre nous, marcheurs, avec ceux que notre route a croisés, qui nous ont accueillis, écoutés, interpellés, sont intervenus d’une manière ou d’une autre. D’avoir vécu cette fraternité simple et directe sans laquelle la société se délite. J’ai l’impression que notre message de responsabilisation civique est largement passé.

Quel accueil vous a été fait ?

La plupart des gens sont très étonnés par notre démarche ; beaucoup nous encouragent, qu’ils soient ou non politisés. À chacune de nos veillées, des veilleurs allaient voir les badauds pour leur expliquer ce que nous vivions et les inviter à se joindre à nous. Parfois, quelques marques d’hostilité virulente, mais rares. Et aucune expression d’incompréhension qu’un bon dialogue n’ait dissipée.

Mes rencontres les plus marquantes ? Ce couple de nomades anars « en marge de Babylone » qui à la fin de la veillée à Charron me disent : « Vous n’êtes pas des veilleurs, vous êtes des éveilleurs ! » Ces deux lesbiennes à La Faute-sur-Mer qui, de très agressives, deviennent attentives au fil de la discussion et, me présentant les enfants qu’elles ont élevés ensemble, me remercient d’être venu à elles sans prosélytisme. Ce couple de retraités près de Challans qui nous explique, au milieu de leur superbe potager, comment ils échangent et cultivent des semences traditionnelles reproductibles en toute illégalité, et pourquoi ils opposent la même résistance aux OGM et à la PMA/GPA. Et tant d’autres échanges surprenants, sur la tempête Xynthia, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le discrédit des élites, la fragilité des paysages, des emplois, du patrimoine…

Beaucoup de témoignages d’espérance, mais en même temps, combien d’indifférence et de fatalisme ! Tant de nos compatriotes sont dépolitisés et désinformés, à force de se sentir méprisés. Ils ne voient pas qu’on leur fabrique un monde inhumain, à la Orwell. L’été, beaucoup ne veulent pas entendre parler politique, et pendant l’année, ils se trouvent trop occupés pour s’y intéresser vraiment. Tout est fait pour que les citoyens soient dépossédés de leur responsabilité civique. Le divertissement médiatique et le stress quotidien remplissent leur rôle de décervelage.

Et chez les élus ?

Ce n’est pas aux élus que nous nous adressons d’abord, mais aux citoyens de base, aux petites gens. La Marche des Veilleurs, c’est une université populaire itinérante, une auberge espagnole culturelle et politique où chacun peut trouver matière à penser, à mûrir ses engagements. Si nous avons été très touchés que le député PS Jérôme Lambert se déplace pour venir nous rencontrer à Châtelaillon, le 11 août, nous ne nous intéressons pas aux étiquettes politiques. Notre rôle, c’est l’éveil des consciences, les nôtres et celles de nos concitoyens. Que chacun tienne son rôle dans la cité, aussi modeste soit-il. Car si nous cédons notre place, comment se plaindre que certains prennent toute la place ? Ne pas faire de politique, c’est faire la politique des autres.

Et maintenant ? Quid des Manifs pour Tous ? Continuerez-vous la politique par d’autres moyens ?

Les Veilleurs ne continuent pas les Manifs pour Tous : ils ne manifestent pas, ne revendiquent pas, ne prient pas, ils veillent, c’est-à-dire qu’ils essaient de penser, en s’appuyant sur l’art et la culture, aux grands enjeux contemporains qui touchent à la vie publique. Nous faisons de la conscientisation, comme disent les marxistes. Non pas pour défendre des privilèges ou des « valeurs », mais pour réfléchir ensemble aux conditions du bien commun. Si nous sommes nés du déni de réel et de démocratie qu’est la loi Taubira, nous ne pouvons nous y cantonner, car elle n’est que l’expression d’une idéologie plus vaste, celle du refus des limites, de la haine du donné, du prométhéisme hédoniste et technique. Hanna Arendt écrit que la croyance totalitaire que tout est possible n’entraîne qu’une certitude : tout peut être détruit. Les Veilleurs ne veulent pas « refaire le monde », ils veulent juste, à l’instar d’Albert Camus, empêcher « qu’il ne se défasse ». Préserver pour transmettre. C’est ce que nous allons redire le 31 août à Paris, en marchant de la Défense à la Concorde, où nous veillerons toute la nuit.

Pour les suivre : http://www.les-veilleurs.eu/

Source : http://www.bvoltaire.fr/gaultierbes/nous-ne-voulons-pas-refaire-le-monde-juste-eviter-quil-ne-se-defasse,34210