Otage en Afrique, le père Georges a vécu
un drame secret en Corse
En 1979, ses parents ont été victimes d’une noyade au large d’Ajaccio
alors qu’ils étaient en voilier. Georges Vandenbeusch, à l’époque âgé de 7 ans,
était parvenu à regagner le rivage, seul
Un enfant peut-il imaginer pire cauchemar? Se retrouver en pleine nuit, plongé dans une mer houleuse et sombre avec ce seul but : regagner coûte que coûte le rivage.
« Ma mère, derrière moi, me conseillait de nager calmement en direction du faisceau du phare », confiera le garçonnet de sept ans, secouru au petit matin, après une longue nuit de terreur, sur un sentier des Îles Sanguinaires.
Revenu des ténèbres, sauvé des eaux tel Moïse, le petit Georges suivra bien plus tard une autre lumière, guidé, cette fois, par une voix divine. Il est ordonné prêtre en 1998, officie à Rueil-Malmaison et à Sceaux (Hauts-de-Seine) où il demeure jusqu'en 2011, date de son départ pour le Cameroun. Trente-quatre ans après le drame, le sort s'acharne. Loin, bien loin de la Corse où ses parents ont disparu à jamais.
L'enfant au regard perdu
Le père Georges Vandenbeusch, 42ans, est enlevé dans la nuit du 13 au 14 novembre 2013, dans la mission catholique de Nguetchewé par des islamistes radicaux rattachés à des sectes nigérianes. Il est le septième otage français retenu par des terroristes.
Le petit naufragé d'Ajaccio, devenu orphelin une nuit du mois d'août 1979, c'est lui.
Corse-Matin avait largement relaté cette tragédie et publié une photo déchirante, celle d'un secouriste portant dans ses bras l'enfant au regard perdu, enveloppé dans des couvertures. Les deux gardiens du phare qui veillent sur l'entrée nord du golfe d'Ajaccio, Camille Lorenzo et Julien Muzelli, l'avaient recueilli à proximité du rivage. À l'époque, le journaliste, Jean-Claude Lanfranchi, avait rapporté leurs témoignages.
Que s'est-il passé cette nuit-là ?Treize jours plus tôt, Jean-Louis Vandenbeusch, 36 ans, ingénieur commercial à Meudon (Yvelines) avait entrepris un tour de Corse en bateau avec sa compagne, Jeannine Nedelec, 39 ans, et leur fils Georges. Comme l'année précédente, le couple avait loué un voilier à la société Ajaccienne SAS Loisirs. Le père semblait bien amariné, ses manœuvres au départ du port, plutôt assurées, n'ont pas attiré l'attention particulière des loueurs.
« Je ne les ai plus entendus »La croisière tire à sa fin lorsque la tragédie survient. C'est la nuit. Le père est à la barre du Kid-O-VIII, la mère et l'enfant sommeillent en cabine, le voilier s'engage dans la zone nord du golfe lorsque soudain, l'hélice se bloque, emprisonnée, semble-t-il, par un filin flottant. Le moteur s'enraie. La panique s'empare-t-elle du capitaine de bord ?
Il surgit en cale, demande aux deux passagers de sauter. L'enfant a peur et réclame un gilet de sauvetage. Immergé, il progresse comme il peut, sentant derrière lui la présence de sa mère et celle de son père un peu plus loin.
« Au bout d'un moment, je ne les ai plus entendus », racontera-t-il aux enquêteurs. L'enfant appellera en vain, poussé par la houle sur les rochers et la terre ferme. On retrouvera le corps de sa mère près d'une crique, pas celui du père malgré d'intenses recherches.Ce soir-là, aucune fusée d'alerte n'a été tirée depuis le voilier, le matériel de survie n'a pas été utilisé et, plus inexplicable encore, aucune voie d'eau n'aurait été constatée sur les flancs du navire. Dans un reportage consacré au prêtre otage, l'hebdomadaire Paris Match retrace son parcours après les faits. Georges Vandenbeusch a été recueilli par ses grands-parents paternels et a vécu à Meudon dans sa ville natale où il a fait sa rentrée scolaire en septembre 1979.
« Recueilli par ses grands-parents »Le petit naufragé s'affirmera peu à peu, devenant un homme « solide, vigoureux, passionné de rugby et de montagne » qui trouve assez tôt sa vocation, servir l'église. Joint par téléphone au diocèse d'Évreux, Nicolas le Bas, venait de rejoindre le père Georges au Cameroun, lorsque les terroristes ont enlevé la famille Moulin-Fournier qui a retrouvé, depuis, la liberté.
« Je débarquais à Maroua lorsque cela s'est produit. Nous avons été conviés à participer à une réunion d'information avec l'ambassadeur de France qui nous a décrit la situation. L'attaché militaire de l'ambassade a évoqué les risques sur place. Le danger est diffus dans toute cette zone. Le père Georges en avait conscience, il était plus méfiant depuis quelque temps, ne faisait pas d'imprudences en sortant de nuit par exemple. Personnellement, je n'ai pas craint de rester. Sur le moment, j'ai pensé qu'un autre enlèvement ne pourrait se produire au même endroit. ».
« Très réservé sur sa vie personnelle »
Nicolas Le Bas et Georges Vandenbeusch se sont connus, étudiants, au séminaire d'Issy-les-Moulineaux en 1992. « Il y est entré un an après moi, et nous sommes toujours restés en contact par la suite, explique le prêtre. Il aimait beaucoup travailler, réfléchir. Nous discutions de toutes sortes de sujets, de l'actualité, de théologie, d'histoire, ou de philosophie. Il était particulièrement affligé par les mariages forcés en Afrique et s'efforçait de sensibiliser les chrétiens sur cette question. Il était également préoccupé par les familles qui revenaient du Nigeria. Il y en avait de nouvelles tous les dimanches Le père Georges était à la frontière du pays dans une zone sensible ».
Selon le père Le Bas, il était très réservé sur sa vie personnelle :
« ll ne m'a jamais parlé du drame qu'il a vécu enfant, mais j'en avais eu connaissance. Je n'aurais jamais osé lui poser la moindre question à ce sujet. Il n'était pas du genre à s'épancher. Je pense qu'il a surmonté cette épreuve grâce notamment, au scoutisme qui était très important pour lui ».
Source :
http://www.corsematin.com/article/societe/otage-en-afrique-le-pere-georges-a-vecu-un-drame-secret-en-corse.1210995.html