Magda Hollander-Lafon, la lente délivrance du passéJuive hongroise déportée à 16 ans, puis baptisée, mais restée proche du judaïsme, elle est devenue psychologue pour enfants, afin de comprendre ce qui lui était arrivé.
Après trente-deux ans de silence, cette octogénaire témoigne activement, dans les collèges et lycées, de la Shoah, mais aussi du sens de la vie.
- Citation :
- Si vous souhaitez écouter la vidéo de Magda, veuillez vous rendre sur le lien à la fin de ce post, merci. L-A
Une petite fontaine coule au milieu de plantes vertes et d’orchidées, dans un coin de son bureau aménagé dans le vaste appartement qu’elle occupe, avec son mari François, dans le quartier des Gayeulles, à proximité du parc du même nom, au nord-est de Rennes. « L’eau c’est la vie, et la vie est toujours en mouvement », sourit Magda Hollander-Lafon en offrant à son hôte une tasse de café et une part de gâteau fait maison.
Avec la même générosité chaleureuse, cette dynamique octogénaire se proposera en fin de journée de raccompagner sa visiteuse jusqu’à la gare, profitant de quelques minutes supplémentaires pour poursuivre le bouleversant récit de sa vie. Un récit d’autant plus dense que Magda n’a commencé à l’évoquer qu’après trente-deux ans de silence.
Des souffrances et une terrible culpabilité
Déportée à 16 ans depuis sa Hongrie natale, l’adolescente juive a été séparée de sa mère et de sa sœur dès leur arrivée à Auschwitz-Birkenau. Quelques jours plus tard, alors qu’elle interroge une kapo sur leur absence, elle l’entend répondre : « Regardez la cheminée en flammes, elles sont déjà dedans. »
Magda ne peut se pardonner d’être vivante, de n’avoir pu dire au revoir et demander pardon aux siens… Après la Libération, elle emmure profondément ses souffrances, taraudée par une terrible culpabilité : « Ce que je faisais n’était jamais suffisant. Du coup, j’en faisais trop, je débordais de toute part… »
Magda passe quatre ans dans un orphelinat en Belgique, où elle se reconstruit peu à peu, apprend le français et le flamand. « J’ai lu Hugo, Balzac, Proust… Ces auteurs m’ont énormément aidé, comme s’ils m’envoyaient vers le monde et les autres pour ne pas sombrer dans le marasme. »
Dans cet orphelinat où régnait une stricte discipline, Magda entreprend des études d’éducatrice, puis de psychologue pour enfants, pour « comprendre ce qui m’était arrivé » .
Diplômée à 23 ans, elle commence par travailler dans un institut médico-psychologique à Bruxelles, puis dans un autre dans le Val-d’Oise auprès d’un pédopsychiatre qui l’oriente vers les enfants caractériels.
Jésus m’intéresse
Parallèlement, elle se laisse apprivoiser par une chrétienne, croisée sur son chemin en août 1945 et dont le sourire l’interroge. « Elle portait une croix autour du cou ; or, dans mon enfance en Hongrie, on avait très peur de la croix. » Cette dame attentive lui prête un Nouveau Testament et l’encourage à connaître Jésus.
« J’ai ouvert les Évangiles au hasard et suis tombée sur “J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger…” (Mt 25, 35). Je me suis dit : Jésus m’intéresse ! » Magda tente de suivre une catéchèse chez des religieuses mais n’y comprend rien… jusqu’au jour où, lors d’un cours de grammaire française, elle fait le lien entre « le verbe qui donne son sens à la phrase et la Vie qui, sans le Verbe, n’a pas de sens » .
Magda sera baptisée à 23 ans à Bruxelles, tout en restant profondément juive. Au fil des années, elle ne cessera d’approfondir sa double appartenance au peuple juif et au Christ, rejoignant l’Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF) et fréquentant les sessions d’été de Davar, association de dialogue judéo-chrétien fondée en 1985.
Raconter AuschwitzElle qui ne voulait pas se marier « pour pouvoir travailler auprès des enfants », finit par dire oui à François, rencontré dans un foyer d’étudiants. « Il a été très tenace, il m’a attendu six ans ! », sourit-elle en évoquant ses années de jeune mère de quatre enfants.
Mais si elle cesse alors son activité professionnelle, elle continue de se former par des lectures, des congrès, des stages, notamment de PRH (personnalité et relations humaines) pour aider les autres « dans la gratuité » .
En 1977, en sortant d’une hospitalisation, Magda Hollander-Lafon commence à « percer le mur épais » de sa mémoire qui était jusque-là comme morcelée.
Elle veut commencer à raconter Auschwitz à ses quatre enfants et publie son premier livre (lire les Repères ci-dessous) . « Comme je suis très souriante, personne autour de moi ne soupçonnait d’où je venais, mais je me sentais toujours coupable d’être vivante. »
Comment interpeler les jeunes générations
L’année suivante, en entendant le négationniste Louis Darquier de Pellepoix déclarer qu’« à Auschwitz, on n’a gazé que des poux », elle se souvient des « quatre petits bouts de pain » qui lui avaient été donnés par une mourante à Auschwitz et de sa parole à peine audible : « Prends. Tu es jeune, tu dois vivre pour témoigner de ce qui se passe ici. Tu dois le dire pour que cela n’arrive plus jamais dans le monde. »
Elle décide alors de témoigner publiquement de la réalité de la Shoah et réfléchit à la manière d’interpeller les jeunes générations : « Il me fallait transformer cette mémoire de mort en appel à la vie. »
Montrant des milliers de questionnaires, remplis par des collégiens, lycéens et étudiants depuis 1979, et entassés dans une pièce de l’appartement conjugal, Magda évoque leur évolution au fil des ans.
« Au début, certains n’hésitaient pas à écrire que les juifs avaient mérité d’être exterminés car ils avaient tué Jésus et c’était très important qu’ils le disent pour se dégager de l’emprise de leur milieu. Dans les années 1985-1990, confrontés à l’augmentation des divorces, les jeunes me demandaient comment j’avais fait pour me débrouiller en tant qu’orpheline. Aujourd’hui, dans un contexte de crise et de chômage, ils m’interrogent sur l’envie de se suicider dans les camps et sur le sens de la vie. »
Apaiser la rancoeur
Bien souvent, ces échanges se prolongent chez elle, Magda ne refusant jamais de recevoir ceux qui la sollicitent. « Des jeunes me confient leur souffrance de voir leurs parents se disputer ou de ne pouvoir parler avec eux parce qu’ils sont peu disponibles », constate cette grand-mère de onze petits-enfants.
Avec ceux qui ne savent comment orienter leur vie, Magda se transforme en accoucheuse, pour trouver « le vrai désir dans leur cœur » . Elle souhaite d’ailleurs proposer à Daniel Delaveau, le maire (PS) de Rennes qui lui a téléphoné après avoir lu son livre, d’ouvrir une école pour les parents, « pour qu’ils puissent échanger entre eux et s’enrichir de l’expérience des plus âgés » .
Depuis la sortie de son dernier livre, Magda Hollander-Lafon ne cesse d’être invitée pour des rencontres. Et ce mois-ci, lors de l’émission « La grande librairie », sur France 5, elle a tellement crevé l’écran que plus de 1 500 exemplaires se sont vendus en moins d’une semaine.
« Je me rends toujours seule aux rencontres, car je ne veux pas témoigner devant ma famille », poursuit-elle en soulignant sa « grande différence » d’avec son mari, issu de la bourgeoisie catholique bordelaise.
Surtout, avant chaque témoignage, Magda fait prier les communautés monastiques qu’elle connaît, notamment le carmel où vit Anne, la dernière des quatre enfants du couple.
C’est d’ailleurs grâce à l’aide de sa fille carmélite que Magda a pu retourner en Hongrie et apaiser la rancœur qu’elle nourrissait encore contre les habitants de ce pays. « La blessure hongroise était si douloureuse que j’avais oublié ma langue maternelle. Désormais, je me sens disponible pour renouer les liens avec mon passé. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Magda Hollander-Lafon en quelques dates
1927 : naissance le 15 juin à Zahony, à la frontière de la Hongrie et de la Slovaquie.
1934 : déménagement familial à Nyiregyhaza, près de Debrecen.
1944 : arrestation par la police hongroise le 27 avril et déportation à Auschwitz-Birkenau. Le 22 août, elle arrive au camp de travail près de Francfort-sur-le-Main. Le 19 décembre, au camp de travail à Zillertal, en Silésie.
1945 : le 17 février, camp de Morgenstern, dans les Sudètes. Le 15 mars, arrivée à Grosswerther puis fuite dans les bois. Elle est récupérée par des Américains le 12 avril et confiée à un rabbin américain à Namur, en Belgique.
1946 : études de français et de flamand, puis d’éducatrice et de psychologue pour enfants à Namur.
1950 : baptême à Bruxelles.
1954 : travaille à l’Institut médico-pédagogique (IMP) de Vauréal (Val-d’Oise).
1955 : mariage avec François Lafon.
1959 : le couple s’installe à Louveciennes (Yvelines), où naîtront leurs quatre enfants.
1977 : publie son premier livre, Les Chemins du temps (Éditions ouvrières, épuisé).
1979 : installation à Rennes.
1993 : deuxième livre, Souffle sur la braise (Cerf, épuisé).
2012 : publie Quatre petits bouts de pain (Albin Michel, 150 p., 13 €).
(1) Ses deux premiers livres sont épuisés.
(2) Quatre petits bouts de pain, Éd. Albin Michel, 150 p., 13 €.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------
CLAIRE LESEGRETAIN
http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/France/Magda-Hollander-Lafon-la-lente-delivrance-du-passe-_EP_-2012-05-18-807924