Soeur Lucie de Fatima (1907-2005)
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L’entrée de Soeur Lucie dans l’éternité nous ramène au coeur du mystère de notre époque, à son mal et à son devenir. Mais nous n’en aurions rien su sans les écrits de la seule survivante des trois jeunes témoins, devenue religieuse. Elle a raconté la vie de ses deux cousins, en parlant le moins possible de la sienne. L’histoire, si elle le peut, va combler cette lacune, ne serait-ce que pour la situer par rapport aux deux enfants proclamés bienheureux. Quand on sait le renom de ses petits compagnons, son témoignage de vie risque d’être impressionnant.
L’enracinement (1907-15) Lucia de Jésus dos Santos est née en 1907 au hameau d’Aljustrel, de Fatima, au centre du Portugal, dernière d’une famille de sept enfants. Ses parents, Antonio et Maria-Rosa, sont de modestes paysans, et, comme les gens du cru, bons pratiquants; sa mère leur enseigne le catéchisme, à l’égal du Curé. Elle est inflexible sur la morale.
Lucie a une amie privilégiée, sa cousine Jacinta, avec son frère Francisco.
Aimée de ses soeurs au début, Lucie grandit avec un naturel gai et sociable, d’où émerge une forte personnalité, malgré un physique rude.
En 1914, tandis que l’Europe est en feu, Lucie, qui a fait sa première communion depuis peu, avec jubilation, reçoit la garde du troupeau familial sur la lande. Peu après, ses deux cousins obtiennent de la rejoindre. Le trio devient inséparable, l’allant extraordinaire de l’aînée se conjuguant avec la vivacité de Jacinthe et la placidité de François.
C’est le temps de l’insouciance, de la joie, des jeux, dans la campagne ensoleillée.
Les grandes apparitions (1915-17)Leur vie est tout à coup bouleversée par un grave message venu du ciel, d’abord par un ange (1916), puis par la «Dame du Rosaire», de mai à octobre 1917. Apparue sur un petit chêne vert, toute resplendissante de beauté et de lumière, elle les invite à prier et à se sacrifier pour le monde, l’Eglise, le Pape et les pécheurs, leur montrant l’horreur de l’enfer où vont les âmes infortunées.
Lucie est la dépositaire principale, à cause de son âge et de ses qualités d’équilibre, de discrétion, de responsabilité.
Saisis au plus haut point, sous son influence raisonnable et déterminée et celle des prêtres, ils vivent ce message de pénitence et de conversion jusqu’à l’héroïsme.
Mais Dieu est le maître du destin. Peu de temps après, il lui enlève tour à tour son père, puis ses deux cousins, morts de la grippe espagnole (1919-20). Inconsolable, elle s’en va pleurer et prier sur leur sépulture. En 1941, elle écrit, au présent: «Mon chagrin ne peut se décrire. C’est une triste épine qui me perce encore le Coeur après tant d’années…».
Combien de temps devra-t-elle rester séparée d’eux? La Vierge lui a seulement dit: «Tu resteras ici-bas quelque temps…». Et elle lui précise sa mission: «…car Dieu veut se servir de toi pour me faire connaître et aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Coeur Immaculé».
Les débuts d’une longue solitude (1921-46)Peu avant le procès canonique (1922-30), Lucie est éloignée de Fatima (1921). De Porto à l’étranger, elle s’instruit davantage et est astreinte à un incognito absolu, devant cacher même son identité. En Espagne, la Vierge lui révèle la dévotion à son Coeur Immaculé, avec l’adoption de la pratique des cinq premiers samedis du mois (1925). Entrée en religion (1929), à Tuy, elle reçoit la demande de consécration de la Russie athée à sa maternité bienfaisante. En 1948, elle devient carmélite pour toujours, à Coïmbra, dernière étape de sa longue clôture (57 ans).
Là, dans la solitude et le silence du cloître, elle est face à deux tâches: sa vie de moniale et la nécessité de répandre le message de Fatima.
Sur le premier point, elle ne cesse de se sanctifier, notamment par les moyens indiqués à Fatima. C’est certes son secret; mais sa correspondance, le témoignage de ses visiteurs — quand l’Eglise les autorise — les grâces obtenues par sa prière et sa vie d’immolation, laissent prévoir son haut degré de vertus, sous son apparence simple et bon enfant.
Elle écrit à sa mère et aux proches, en recommandant de vivre les exigences de Fatima, (à commencer par la dévotion eucharistique…); à la demande de ses supérieurs, elle relate dans ses cinq mémoires (1935-89), l’essentiel de la vie de ses deux compagnons et de sa famille, et les quatre séries d’apparitions; ceci avec beaucoup de clarté, de spontanéité et de maîtrise, sans jamais trahir la vérité ni les silences imposés par la Dame; elle rédige aussi, en 1944, la troisième partie du fameux secret concernant l’un des papes du siècle.
Mais, pas assez écoutée, malgré les prières et les pèlerinages, la Vierge ne peut empêcher la nouvelle guerre et l’extension du communisme stalinien avec les fléaux prédits: «La Russie répandra ses erreurs dans le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Eglise et le Saint-Père, qui aura beaucoup à souffrir…». Lucie, compatissante, redouble d’imploration et de sacrifices. Elle se demande quel est ce pape qui doit tellement pâtir, ne le reconnaissant en aucun de ceux qu’elle voit défiler (six, de Benoît XV à Jean Paul Ier): dans la lande d’Aljustrel, les bergers avaient vu distinctement un septième visage celui d’un pontife, pas encore né en 1917…
De l’ombre à la gloire (1946-2005…)Soeur Lucie s’est évertuée longtemps à propager le message: «évangélique, actuel, plus urgent que jamais, extraordinaire» (J. P II, 1982) de Fatima. Non sans rencontrer de grandes résistances, Satan — dont Fatima annonce la défaite proche — voulant contrecarrer les desseins divins.
C’est surtout dans l’isolement et l’impuissance matérielle qu’elle a combattu les forces déchaînées contre le message, comme sainte Marguerite-Marie pour obtenir la dévotion au Sacré-Coeur. Ceci, grâce à sa consécration vécue à la Vierge, qui l’a immolée sur l’autel de son Coeur Immaculé, à son immense et persistante souffrance, à sa prière intense et confiante. Car, au-delà de ses sacrifices, il y a toujours eu chez elle cette dominante de générosité et d’optimisme, qui l’ont faite aimer de son entourage. Elle savait que, devant la tâche, elle était impuissante, mais que comme le lui avait dit un jour l’Enfant-Jésus: «Ta Supérieure, seule, ne peut rien, mais avec ma grâce, elle peut tout».
Elle réussit à intéresser le Pape Pie XII, qui fit plusieurs consécrations de la Russie, mais sans obtenir la collégialité épiscopale suffisante. Le troisième secret lui parvint en 1957. Il comprit, comme ses successeurs, que, par sa teneur personnelle, il n’était pas pour lui. Paul VI fit une consécration, mais il fallut l’esprit du Concile et un autre Pontife pour la faire aboutir.
Quand Jean Paul II fut élu, elle s’écria: «Mais c’est lui que nous avons vu dans la lande d’Aljustrel, souffrant, priant, et consacrant dans une grande église la Russie au Coeur Immaculé de Marie». Les gestes décrits, et les événements survenus depuis, ne purent lui faire douter que c’est bien lui, le Pape de Fatima, le Pape du secret.
Mieux que personne, Lucie comprit l’attentat du 13 mai, et Qui l’avait transformé en gloire, avec la survie du Pape du Totus Tuus, les grandes consécrations collégiales de 1982 à Fatima, puis de 1984 Place Saint-Pierre, et l’éclatement consécutif de la Russie.
Mais elle n’a toujours pas obtenu l’officialisation dans l’Eglise de la dévotion au Coeur Immaculé de Marie, malgré ses demandes réitérées.
Elle est retournée à Fatima (par obéissance): en 1946, pour reconnaître les lieux des apparitions; puis pour les pèlerinages pontificaux: Paul VI, en 1967; Jean Paul II, en 1982 et 1991, pour remercier Marie d’avoir été sauvé, et pour la chute du communisme; en mai 2000, pour la béatification de ses deux petits cousins. En sa présence a été lu le troisième secret, qui a confirmé l’extraordinaire calvaire de Jean Paul II, en lien avec celui de l’Eglise du vingtième siècle.
Soeur Lucie, née un Jeudi-Saint, s’est ouverte à la lumière éternelle en l’Année de l’Eucharistie, le dimanche 13 février 2005, le 13 étant la «signature» de Marie. Quelle grâce! Quelle espérance pour le triomphe tant attendu des deux Saints-Coeurs! Récompensée de sa fidélité et de sa passion, Lucie, littéralement «fille de lumière», est partie rejoindre ceux qui sont dans la lumière, tels Jacinthe et François (à la veille de leur fête liturgique, le 20 février!) et ceux qui sont Lumière: le Christ, et en Lui, Marie.
Vu son grand âge, la religieuse souffrait de rhumatismes pénibles et ne se déplaçait plus qu’assise. En janvier dernier, elle avait rencontré son neveu, curé, qui lui avait fait part de ses soucis pastoraux, à quoi elle répondit: «Demande à Dieu: Lui, ça ne lui coûte rien, et nous, cela nous arrange!». C’est dire combien elle est restée lucide jusqu’au bout.
Peu avant sa mort, le Saint-Père lui a écrit; la Mère supérieure lui a lu la lettre, pour sa plus grande joie.
Ayant appris la bronchite du Pape, elle a offert la sienne pour lui. Alitée, le soir du 13, sa Supérieure la voyant décliner, appelle entre autres le médecin, lequel témoigne: «En ses derniers instants, on lui a apporté le crucifix, elle l’a embrassé; ses yeux se sont grands ouverts, et, dans une grande paix et une grande douceur, elle a expiré».
Les obsèques préliminaires ont eu lieu le mardi soir 15, en la cathédrale de Coïmbra, avec une foule immense, du Carmel au sanctuaire.
En plus de quelques Soeurs du Carmel, l’épiscopat portugais était là, avec le Nonce et l’envoyé spécial du Saint-Père, le cardinal Bertone. L’évêque de Coïmbra a cité le Pape: «Au cours des années, j’ai noué des liens d’amitié spirituelle avec Soeur Lucie. Sa prière quotidienne m’a toujours soutenu, surtout aux heures de l’épreuve et de la souffrance. Que le Seigneur la récompense pour le grand service caché qu’elle a rendu à l’Eglise».
Ayant désiré la cérémonie la plus simple, Soeur Lucie a été inhumée à même le sol au cimetière du Carmel. Ceci en attendant son retour à Fatima, où dans un délai d’un an, elle devrait être ensevelie auprès des restes de Jacinta dans la Basilique. Sa béatification, souhaitée par tous, pourrait coïncider avec la canonisation des deux pastoureaux.
Au terme d’un si lumineux chemin, nous pouvons rendre grâces à Dieu et implorer l’intercession de la servante Dieu, Lucia, afin que notre monde enténébré, retrouve la lumière.
Bernard BALAYN de l’Apostolat international de Fatima