En Croatie, Benoît XVI s’est adressé à l’EuropePrononçant un éloge de la conscience, samedi 4 juin, au cours de son voyage en Croatie, le pape s’est inquiété de l’«auto-annulation» des grandes conquêtes de l’époque moderne.
Un énorme orage a brutalement rafraîchi, samedi 4 juin après-midi, l’atmosphère étouffante de Zagreb. De quoi rasséréner Benoît XVI, sensible à la chaleur lourde qui l’avait accueilli, le matin, à l’aéroport de Zagreb. Après une longue plage de repos, il avait rendez-vous, à 18heures, au Théâtre national croate, avec la société civile dans ses composantes les plus larges : politique, culturelle, économique, sans oublier le corps diplomatique et les autres religions.
Ce dernier point, dans le contexte croate, n’est pas indifférent. En effet, l’Église catholique a longtemps entretenu ici des relations ambiguës avec le nationalisme. Face à la Serbie orthodoxe, à la Bosnie musulmane, les lourdes fractures au long de l’ancien Empire ottoman parlent encore aux cœurs. En son temps, Jean-Paul II, au fil de ses trois visites, avait dénoncé les excès du nationalisme.
Le temps a passé. Le cardinal Josip Bozanic, archevêque de Zagreb, a fait de l’Église un simple acteur, certes toujours largement majoritaire, de la scène croate, rassuré par un concordat avantageux. Le déclin de la pratique religieuse ne dispense plus, aujourd’hui, cette Église, des questions habituelles en Europe sur la pertinence de la foi dans les sociétés sécularisées.
Les religions «forces de paix»
C’est précisément sur ce point que Benoît XVI a choisi de s’exprimer, face aux élites croates. Après avoir parcouru en papamobile Zagreb noyée sous des trombes d’eau, où seuls les plus résistants étaient venus l’acclamer, le pape a gagné le Théâtre national croate, bel exemple d’une architecture fin XIXe très « Mitteleuropa », pour reprendre le qualificatif qu’il avait utilisé dans l’avion, en connaisseur, afin de bien situer la Croatie.
Benoît XVI s’est d’abord livré, dans l’atmosphère restée étouffante de ce petit théâtre, à un éloge appuyé, non pas du catholicisme, mais des religions «forces de paix». Devant lui, des représentants musulmans, juifs et orthodoxes l’écoutaient avec attention. Il a posé «l’écoute de Dieu comme condition pour la recherche du bien commun, de la justice et de la réconciliation dans la vérité», à la condition «qu’elles se purifient selon leur essence véritable pour correspondre à leur vraie mission.»
Cette précision n’est pas sans poids sur cette terre des Balkans, où les marqueurs identitaires religieux ont été, encore récemment, à l’origine de sanglantes tensions. Mais Benoît XVI s’est ensuite adressé à un auditoire bien plus large que la Croatie. C’est à l’Europe sécularisée qu’il parlait.
Il a tout d’abord appelé de ses vœux la «confirmation des grandes conquêtes de l’époque moderne : liberté de conscience, droits de l’homme, liberté de la science». Mais il a, à sa façon, tiré une sonnette d’alarme : ces libertés ne doivent pas «s’auto-annuler». Et le «point critique» est la «conscience», celle-ci étant entendue non pas comme «réduite au domaine du subjectif», mais comme «lieu d’écoute de la vérité et du bien, lieu de la responsabilité devant Dieu et devant les frères en humanité, qui est la force contre toute dictature».
Dans le premier cas, «la crise de l’Occident n’a pas de remède et l’Europe est destinée à la régression», assène Benoît XVI. Dans le second, «alors, il y a de l’espérance pour l’avenir», tente-t-il de se réjouir. L’Église étant experte en formation de cette conscience-là, il ne restait plus au pape qu’à décliner une feuille de route pour l’avenir d’une Europe, où le don, l’amour et la logique de gratuité prévaudraient tant sur l’intérêt économique que sur les idéologies. À noter, l’expression utilisée par le pape pour qualifier les Saintes Écritures de «“grand code” de la culture européenne».
Un avant-goût des JMJ
Une heure plus tard, rejoignant sur la place Bano Josip Jelacic, au cœur de Zagreb, plusieurs dizaines de milliers de jeunes qui, eux, n’avaient pas reculé devant la pluie, Benoît XVI a donné un avant-goût de ses propos attendus à Madrid, lors des JMJ d’août prochain. Très souriant, visiblement heureux de l’ambiance festive régnant sur la place, le pape a exalté le temps de la jeunesse, «temps des grands horizons, des sentiments vécus avec intensité, mais aussi des peurs pour les choix qui engagent».
Il a appelé ces jeunes à «ne pas se laisser désorienter par des promesses alléchantes de succès facile, des styles de vie qui privilégient le paraître au détriment de l’intériorité». Le pape leur a demandé, comme il le fera à Madrid, de «ne pas céder à la tentation de mettre (leur) confiance entière dans l’avoir, dans les choses matérielles, en renonçant à découvrir la vérité qui va au-delà».
«Laissez-vous conduire vers les hauteurs de Dieu», s’est-il exclamé, après avoir rappelé : «Le Christ vous cherche avant que vous ne le cherchiez ! Laissez-le vous prendre par la main !» Puis, alors que le jour faiblissait sur Zagreb, devant le Saint Sacrement, Benoît XVI et les 50 000jeunes présents se sont laissé entraîner dans un long silence, bien plus grand qu’eux.
FRÉDÉRIC MOUNIER (envoyé spécial à Zagreb)
http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/En-Croatie-Benoit-XVI-s-est-adresse-a-l-Europe-_EG_-2011-06-05-621808