Stan
Date d'inscription : 30/08/2010 Localisation : Québec, Canada
| Sujet: « Sodoma », une diatribe autoréférentielle (Critique du livre de Frédéric Martel, par le Journal La Croix) Jeu Fév 21 2019, 15:21 | |
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« Sodoma » une diatribe autoréférentielle
Le propos de ce livre, fort volumineux, tient en peu de mots. Après avoir très longuement enquêté à Rome et dans une trentaine de pays, après avoir mené d’innombrables entretiens, Frédéric Martel affirme que l’homosexualité est omniprésente au Vatican et au-delà, parmi les cardinaux, les évêques et les prêtres. Gay revendiqué, cet écrivain, sociologue et journaliste, dénonce donc l’hypocrisie que constituent à la fois les doubles vies de membres du clergé ainsi que les positions doctrinales de l’Église catholique sur la question de l’homosexualité, l’usage du préservatif et les droits civils des homosexuels en matière familiale.
La réalité dont parle Frédéric Martel existe bel et bien. L’enquête apporte des éléments qui en modifient notre évaluation. Ce qui pouvait être perçu comme des cas isolés, des manquements individuels apparaît désormais, au moins partiellement, comme un système de cooptation et de complicités. Autre point important : cette description amène à la conclusion qu’un tel système de dissimulation a constitué un abri très protecteur dont ont profité des pédocriminels.
Le choc que représente ce livre amène donc à se poser de nécessaires questions. Comment maintenir inchangés certaines règles de discipline ecclésiastique et certains points de doctrine si de hauts responsables cléricaux vivent dans de telles contradictions ? Complexe chantier qui prendra beaucoup de temps. Le pape François a entamé ce chemin, au moins sur le terrain pastoral, avec cette phrase mémorable en juillet 2013 : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur et qu’elle est de bonne volonté, mais qui suis-je pour la juger ? »
Le livre procède par allusions et questions
Il faut aussi évoquer ce que Sodoma a d’outrancier et même de détestable. D’abord, son exagération narrative.L’auteur fait de la messe d’ordination épiscopale de Mgr Georg Gänswein, secrétaire du pape Benoît XVI, une description fellinienne, jugeant qu’elle est « une des plus extravagantes de tous les temps » . Il n’a pas dû voir beaucoup de messes dans la basilique Saint-Pierre car celle-là était alors relativement banale. Ensuite, sa propension à tout analyser à travers le prisme de l’homosexualité, même lorsqu’il s’agit de politique ou d’argent. Sodoma est en ce sens un livre gay autoréférentiel, mot que l’auteur utilise souvent pour qualifier l’Église.
Beaucoup plus grave, Frédéric Martel ne fait pas de distinction claire entre ceux qui ont une pratique homosexuelle et ceux qui, d’orientation homosexuelle, font tout pour rester fidèles à leur engagement de célibat. Le raisonnement sous-jacent semble être le suivant : les premiers sont des menteurs cyniques ; les autres se mentent à eux-mêmes et en conçoivent une aversion pour l’homosexualité. De toute façon, pour Frédéric Martel, l’abstinence est inenvisageable car « contre-nature ».
Cette conception des choses conduit, hélas, Frédéric Martel à beaucoup d’insinuations. Il ne désigne comme homosexuels pratiquants que des personnes décédées – parfois très récemment. Pour les vivants, le livre procède par allusions et questions. L’auteur écrit : « Quant au ”outing” (1), arme terrible des homophobes, il a toujours été très prisé par les homosexuels eux-mêmes. » Ce livre l’illustre assez bien.
Frédéric Martel ne sait donc rien – ou ne dit rien – de l’action caritative des catholiques
Enfin, il faut souligner que, pour Frédéric Martel, « l’Église », ce ne sont que les clercs. Il n’est jamais question des fidèles, des laïcs engagés dans les communautés ou dans la société, des religieuses (sauf pour faire l’hypothèse que, de leur côté, aussi…). Sans doute est-ce cette erreur de compréhension qui le conduit à dire, observant le geste de charité d’un prêtre vis-à-vis d’un SDF : « Un petit geste qui ne paie pas de mine, banal dans sa simplicité, et devenu rare dans un Église ”autoréférentielle” et qui a eu tendance à s’éloigner des pauvres. » Frédéric Martel ne sait donc rien – ou ne dit rien – de l’action caritative des catholiques, y compris au plus haut niveau du clergé.
Sodoma a un épilogue. Un texte magnifique où l’auteur évoque un prêtre qui a marqué son enfance et auprès de qui il a appris la liberté. Beaucoup plus tard, Frédéric Martel a su que le père Louis était homosexuel et qu’il était mort du sida. Il a des mots très durs pour évoquer « la souffrance de cet homme seul, rejeté par l’Église ». Et pourtant il raconte que le père Louis a été accompagné jusqu’à sa mort par des religieuses « magnifiquement dévouées ». Frédéric Martel, elles étaient l’Église auprès de votre ami.
Guillaume Goubert
Source : https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Sodoma-diatribe-autoreferentielle-2019-02-20-1201003912?utm_medium=Social&utm_source=Twitter&fbclid=IwAR0aXe3CYRIZrOjz_DZHHGiVhUqQurNMgt89z-fCDI6btoZHzi2cTopuZ2A#Echobox=1550681680
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