Suite aux attentats, Monseigneur Olivier de Germay, évêque d’Ajaccio, écrit :« La liberté d’expression est une valeur à laquelle nous sommes attachés. Et c’est à juste titre que nous nous scandalisons devant le cas de Raif Badawi récemment condamné à 1000 coups de fouet pour avoir critiqué le Royaume d’Arabie saoudite. Est-elle pour autant un absolu ? Si c’était le cas, il faudrait supprimer la loi condamnant le négationnisme ou l’incitation à la haine raciale.
Faire de la liberté d’expression un absolu, c’est renoncer à construire la paix sociale.
En tant que liberté individuelle, la liberté d’expression s’inscrit dans le cadre de la vie en société. Vouloir en faire un absolu, c’est renoncer à construire la paix sociale. De ce point de vue, réagir aux attentats par une diffusion massive de caricatures de Mahomet est la plus mauvaise des réponses. Certains revendiquent et interprètent ce choix comme le refus de céder au terrorisme.
On peut comprendre cette réaction, mais elle est selon moi le signe d’un manque de recul. Nous n’avons pas compris qu’à force d’insulter ou de tourner en dérision les autres nous générons de la haine. Donner à sa propre expression des limites dans le souci de respecter les autres n’est pas une perte de liberté mais au contraire le signe d’une grande liberté intérieure.
Tout en saluant la mémoire des victimes de ces actes odieux et injustifiables, il faut que nous ayons le courage de reconnaître les égarements et les contradictions de notre société qui ont favorisé de tels clivages. Le combat pour la défense des droits de l’homme fait partie de l’histoire et de l’honneur de notre nation, mais notre erreur a été d’absolutiser les libertés individuelles en oubliant le bien commun. Nous avons pensé ces libertés à partir de l’homme considéré comme un individu autonome, oubliant qu’il n’existe qu’en étant inséré dans une société. Dans un tel contexte, toute limite à une liberté individuelle est perçue comme une régression. Par pragmatisme, on conviendra alors que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres, ce qui est déjà un progrès mais ne peut que créer les conditions d’une tension permanente car l’autre est alors vu comme celui qui limite ma liberté.
La liberté qui n’est plus finalisée par l’amour de l’autre déshumanise.
L’individualisme exacerbé nous a fait oublier que l’homme – être de relation par nature – ne peut s’accomplir indépendamment des autres. Sa propre liberté ne trouve pas sa fin en elle-même, elle est finalisée par la vie en société. Si l’homme conçoit sa liberté comme la capacité de faire ce qu’il veut, il prend paradoxalement le risque de devenir esclave de la part d’égoïsme et de violence qui sont en lui. La liberté qui n’est plus finalisée par l’amour de l’autre déshumanise et s’efface devant la toute-puissance du désir. En revanche, dans la dynamique de l’amour, l’autre me rend libre car il me permet de réaliser ma vocation à aimer.
Cela explique, au moins en partie, la raison pour laquelle notre société accumule tant de contradictions. Nous sommes capables – et c’est heureux – de nous rassembler pour défendre la liberté d’expression et la liberté d’exister de ces journalistes, mais en même temps nous sommes prêts à jeter en pâture dans l’arène médiatique ceux qui osent s’exprimer pour défendre la liberté d’exister des enfants à naître. Le désir – ou non – d’enfant s’est peu à peu érigé comme une liberté individuelle absolue et toute-puissante ; tellement toute-puissante qu’elle se donne le droit de tuer.
Le grand défi
De ces journées meurtrières, nous devons certainement – et je m’inclue dans le « nous » – tirer la leçon de savoir débattre avec plus de mesure et de respect mutuel. Mais le grand défi sera de comprendre que seul l’amour peut sauver le monde et nous rendre réellement libres. Libres pour insulter ? Non, libres pour aimer. »