http://www.croire.com/article/index.Que veut dire discerner ?
« Discerner » un verbe qui revient souvent dans nos lectures, nos conversations et nos forums... Mais, au fond, qu’est-ce que ça veut dire ?En partenariat avec "Croire aujourd'hui",
la réponse du P. Michel Souchon, jésuite, à un internaute de croire.com Laissez Dieu vous transformer..."Écoutez saint Paul : « Laissez Dieu vous transformer et vous donner une intelligence nouvelle. Vous pourrez alors discerner ce que Dieu veut : ce qui est bien, ce qui lui est agréable et ce qui est parfait » (Romains 12,2). Tout est dit : l’intelligence spirituelle est cette faculté qui nous rend capables de découvrir ce que Dieu désire pour nous, pour notre bonheur, « ce qui plaît au Seigneur » (Éphésiens 5,10). Saint Jean invite au « discernement des esprits » : « Ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s’ils viennent de Dieu » (1 Jean 4,1). Comment répondre à cette invitation ?
Les Exercices de saint IgnaceDans les Exercices spirituels, saint Ignace donne des indications. Durant sa convalescence, il a découvert que des pensées, des idées ou des projets lui donnaient un plaisir passager, mais étaient suivis de tristesse, alors que d’autres pensées lui procuraient une consolation durable.
De cette expérience, il tire des règles pour distinguer ce qui vient du « bon esprit » de ce qui vient du « mauvais esprit »."L'intelligence spirituelle"Le discernement, « l’intelligence spirituelle », est finalement bien proche de la Sagesse, dont nous parle le Livre des Proverbes :
« Moi, la Sagesse, j’ai pour demeure la prudence. J’ai découvert la science de l’opportunité » (Proverbes 8,12). C’est la Sagesse qui donne de savoir « lire les signes des temps ». D’entendre les appels que nous adressent les circonstances et les rencontres. De connaître les moments où il faut parler pour témoigner de l’espérance qui nous anime et de la foi qui nous fait vivre, et quand se taire, parce que « ce n’est pas le moment ». Dans le Livre d’Isaïe, il est dit du « Serviteur » : « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et de discernement » (11,2). Que Jésus, le Serviteur, nous communique la « science de l’opportunité ».
http://www.croire.com/article/index.jsp?Le discernement a partie liée avec la décision, mais il est fondamentalement spirituel. Paul Legavre, jésuite, aumônier national de la Communauté "Vie chrétienne", s'attache ici à le définir de façon simple.[/size]
Vous est-il arrivé, par une belle et chaude nuit d’été à la campagne, d’être émerveillé par les bruits et les senteurs ? Ensuite, habité par toutes ces perceptions et aidé par le clair de lune, avez-vous tenté de distinguer, d’identifier une présence dans l’ombre, ou de reconnaître les bruits, dans le lointain ? C’est d’abord cela, discerner : percevoir corporellement la vie qui se donne.
De multiples sensMais le terme porte avec lui bien d’autres sens, à partir de cette signification première. Discerner, indique le dictionnaire, c’est aussi se rendre compte de la nature ou de la valeur de quelque chose,
démêler le vrai d’avec le faux.
Le discernement a donc une dimension morale, éthique : peser, soupeser les éléments qui sont à notre disposition, pour nous repérer et porter un jugement, sur ce qui nous arrive ou face aux choix devant lesquels nous sommes placés. Le discernement a ainsi partie liée avec la décision.Une intuition du bienEn fréquentant les Écritures Thomas d’Aquin affirme qu’en chacun de nous, la conscience a l’intuition de ce qui est bien, de ce qui est bon.
Mais ce mouvement premier peut être perverti, aussi la formation du jugement moral est-elle essentielle. Cela requiert du temps, les parents et les éducateurs le savent, pour qu’un enfant, un jeune, juge bien des choses, des événements et des personnes, sans se laisser emporter par ce qu’il ressent ou par les passions qui l’agitent.
Une conscience "éclairée"L’Église, par son enseignement adossé à la Parole de Dieu, aide à ce que notre conscience en soit éclairée. Et le Décalogue (Exode 20) délimite le chemin de la vie telle que Dieu la souhaite pour tous les humains. Le père Paul Beauchamp avait naguère intitulé un recueil d’articles donnés à "Croire aujourd’hui":
D’une montagne à l’autre, la Loi de Dieu (Seuil, 1999) : du Sinaï au mont des Béatitudes, de Moïse à Jésus, c’est le même Seigneur qui fait sortir son peuple de la maison de servitude et l’appelle au bonheur. Dieu bénit Salomon qui demande le don du discernement (1 Rois 3) et Jésus lui-même (en Luc 12, 54-57) n’invite-t-il pas avec vigueur ceux qui l’écoutent à discerner le temps dans lequel ils sont et à juger par eux-mêmes de ce qui est bon ? La fréquentation des Écritures, la contemplation assidue de la vie de Jésus nous permettent de faire progressivement nôtres les choix du Christ, « folie pour le monde et sagesse de Dieu », et d’adopter progressivement sa manière de voir, de sentir, de juger, d’agir. Ce qui nous aidera à aimer davantage.
Se décider "pour" DieuAussi le discernement est-il fondamentalement spirituel. Car, dans la vie chrétienne, décider ne va pas sans se décider pour Dieu. La tradition spirituelle nous apprendqu’on ne choisit pas entre le bien et le mal : on combat ce qui est mal ! Le discernement, à proprement parler, porte sur ce qui est bon : entre deux choses, deux solutions également bonnes (et reconnues telles par l’Église), nous avons à percevoir ce qui nous aidera à aimer davantage, à marquer une préférence pour Dieu.
Ignace de Loyola a encouragé avec force à chercher et trouver Dieu en tout, en apprenant à faire la douce volonté de Dieu.
Il avait foi dans la boussole de la joie, signature de l’Esprit en nous, pour comprendre et choisir la vie. Au quotidien, mais aussi dans les grands choix.
Pouvoir parler à d’autres, dans l’Église, et être accompagné est alors essentiel pour vérifier que ce ne sont pas
« l’amour-propre, la volonté propre, ou les intérêts propres » (Exercices spirituels) qui nous font agir,
mais bien une préférence amoureuse pour le Seigneur de nos existences.
Ici, pas d’évidence mais des incertitudesMais bien souvent, il existe des marges de manœuvre, des espaces où engager notre liberté, un lieu où une décision est à prendre. Discerner entre tous les possibles, en fonction de ma situation aujourd’hui et à venir, de mes relations, de ma santé, de mon équilibre...
Ainsi Matthieu me rapporte un souci personnel : son amie vient de perdre son appartement. Matthieu s’interroge : devrait-il lui proposer de venir s’installer chez lui ? Ici, pas d’évidence mais des incertitudes: l’envie d’aller de l’avant dans la relation et en même temps la crainte d’aller trop vite en manquant des étapes. Je l’invite à prendre le temps du discernement car la question posée ne touche pas que lui-même : l’amie de Matthieu, tout comme leurs familles et amis proches, sont également concernés.
Ce temps appelle un examen de critères objectifs.
Rien ne pourra advenir si nous manquons de clairvoyance. Dès lors comment procéder ?
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Savoir prendre de la distance par rapport à l’urgence, aux pressions extérieures et intérieures. Car le simple fait d’envisager loyalement telle ou telle hypothèse va faire lever des résistances, des remous, voire de vraies tempêtes.
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Formuler clairement la question et analyser la situation en toutes ses dimensions.
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Peser, comme sur un plateau de balance, ce qui est le meilleur pour soi et pour les autres. Car, comme le dit saint Paul, «tout est permis, mais tout n’est pas profitable.»
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Laisser venir à la lumière de mon entendement ce qui m’attire, me fascine, m’agite, m’inquiète. Exercice souvent difficile : des peurs de toute sorte apparaissent, des attachements, des dominations éventuelles.
Un lent et patient travail intérieur s’ouvre à ce moment-là et il est bon d’en parler à une personne de confiance, en sachant qu’elle me renverra à ma conscience et que la décision me reviendra.
Après ce processus, la décision peut parfois tomber comme un fruit mûr.
Elle s’impose et elle est suivie d’une grande paix. Elle est éminemment personnelle. Mais tout ne fait que commencer. «Ce n’est qu’après coup, peut-être, que nous est révélée de manière inattendue ce qu’est en vérité la décision que nous avons prise».
C’est au cœur de notre liberté que l’Esprit nous rejoint«Mais alors, dit Matthieu, en tant que chrétien, y a-t-il une différence dans la manière de discerner ?» Matthieu pointe que toutes nos décisions ne sont pas uniquement affaires de réflexion, d’analyses de situation et de prudence humaine. Il a raison. Jésus nous le rappelle : «Lequel d’entre vous quand il veut bâtir une tour ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et juger s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?»
Nos décisions engagent notre manière de vivre notre foi.
Cela implique qu’il remette sa décision au Seigneur pour qu’il vienne Lui-même l’habiter. En effet, le discernement spirituel n’enlève rien à la liberté humaine (cf. le processus décrit ci-dessus), mais il l’oriente vers la liberté de Dieu : c’est au cœur de sa liberté que l’Esprit va le rejoindre, le solliciter de l’intérieur et l’inviter à conformer sa vie à l’Évangile.
Au terme de ce cheminement, Matthieu décèle que discerner, ce n’est pas peser et soupeser à l’infini chaque petit fait ou geste du quotidien, mais reconnaître jour après jour ce qui le rapproche de sa vérité humaine et du service de la vie, en lui et autour de lui. Ainsi, il peut découvrir à travers les méandres de son existence, des choix posés ou non, des urgences à honorer… quel chemin prendre ou éviter, voire refuser.
Avec le temps, on apprend à se connaîtreAussi, discerner me paraît être cette capacité merveilleuse dont est doté tout être humain de conduire clairement et sereinement sa vie. C’est un art de vivre qui se construit dans l’ordinaire des temps à travers toutes nos décisions, petites ou grandes. Prendre la décision, comme le dit François Varillon, «c’est la liberté en acte. Là où il n’y a pas de décision, il n’y a pas de construction de l’homme». Cette direction se dessine dans le clair-obscur des pensées, des sentiments qui me traversent et où je perçois ce qui me fait vivre, ce que je désire réaliser.
Avec le temps, j’apprends à me connaître, à savoir comment mener ma vie, à découvrir ma manière d’être, d’agir. Cela suppose d’avoir le courage de s’arrêter et de relire de temps en temps sa vie pour percevoir, reconnaître, entendre, démêler et juger clairement et sainement les choses.
C’est le prix à payer si nous désirons conduire notre vie, influer sur les événements et ne pas nous laisser porter au gré des influences et des fantaisies… En retour, notre être s’affermit, s’enrichit dans cette marche fidèle et clairvoyante…
Et la joie et la paix nous sont données en retour.http://www.croire.com/article/index.jsp?