Chrétiens persécutés : dans l'Orient compliqué, ne jamais abandonner ses amis
De Renaud Girard sur « Figaro-Vox » ;
"Il aura fallu attendre l'été 2014 pour que le grand public occidental réalise enfin le drame de l'éradication des Chrétiens d'Orient. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il s'est accéléré depuis la chute de Mossoul aux main des fanatiques de l'État islamique (Isis, selon son acronyme anglais).Dans cette ville de Haute Mésopotamie baignée par le Tigre, qui est l'antique Ninive, le christianisme remontait au 4ème siècle.
Devant ces photos de jeunes chrétiens crucifiés pour avoir refusé d'abjurer leur foi, l'Occident se rend compte de l'extraordinaire gâchis qu'il a provoqué en Irak. Quoi, c'est cela le résultat des interventions militaires occidentales entre le Tigre et l'Euphrate! Deux invasions terrestres de l'Irak (l'une avortée en février 1991, l'autre totale en mars 2003), toutes les deux ordonnées par des présidents américains chrétiens pratiquants, pour aboutir à ces crucifixions! A Mossoul sous Saddam Hussein, il était dangereux de faire de la politique. En revanche, chacun pouvait y pratiquer son culte à sa guise et les femmes pouvaient marcher librement dans la rue, voilées ou non, sans que personne ne vienne les inquiéter. Je me souviens du père dominicain Youssef Thomas qui, en février 2003 à Bagdad, se réjouissait secrètement devant moi de l'arrivée des Américains, pensant qu'ils allaient réussir à y implanter la liberté politique, la démocratie et l'État de droit. Combien d'espoirs de citoyens irakiens sincères George W. Bush et Tony Blair ont-ils trahis! Que les États-Unis utilisent aujourd'hui leur aviation et leurs forces spéciales pour endiguer la vague noire du fanatisme islamique de l'Isis est la moindre des choses. Le fiasco anglo-américain en Irak de 2003-2010 représente un gigantesque abandon des chrétiens, car c'est cette communauté ancestrale qui a payé le plus cher le prix du chaos. Sourds aux conseils de leur allié français, les anglo-saxons ont commis une grave faute politique en envahissant l'Irak le 20 mars 2003. Mais ils en ont commis une encore plus grave, morale et stratégique, en se retirant sans avoir réussi à construire le «Nouveau Moyen-Orient» démocratique qu'ils avaient imprudemment promis urbi et orbi. En abandonnant à leur sort les Irakiens qui avaient cru en elle - au premier rang desquels les chrétiens -, l'Amérique n'a pas commis qu'une faute morale. Stratégiquement, elle a perdu son pouvoir dissuasif dans le monde arabo-musulman. Au Moyen-Orient, si vous abandonnez un ami, c'est que vous êtes faible. Et vos ennemis ne tarderont jamais beaucoup à venir exploiter votre faiblesse.
En matière d'abandon des chrétiens d'Orient, la France n'a hélas pas de leçon à donner. En 1975, elle a été indifférente au sort des Maronites du Liban, qui avaient le tort de se sentir français (depuis Saint-Louis), de parler le français, et de vouloir défendre la souveraineté (face aux Palestiniens) d'un État créé par la France en 1920. Majoritairement hostile aux Maronites, l'intelligentsia parisienne se pâmait devant leurs ennemis, qu'elle qualifiait du bel oxymore d'«islamo-progressistes». Alors que nous nous sommes beaucoup démenés, nous Français, à l'été 1982, pour évacuer, par navires, de Beyrouth, les combattants palestiniens encerclés par Tsahal, nos soldats cantonnés dans la capitale libanaise n'ont pas bougé, au début du mois de septembre 1983, pour aller sauver les chrétiens du Chouf (à moins de deux heures de route), que massacraient les milices druzes après un retrait inopiné de l'armée d'invasion israélienne. Mille cinq cents chrétiens tués, des dizaines de milliers chassés, sans que nous bougions le petit doigt! Des chrétiens qui avaient appris à vénérer dans leurs écoles «Notre mère la France»! Vue comme une faiblesse insigne, notre lâcheté ne tarda pas à être sanctionnée: le 23 octobre 1983, 58 soldats français mouraient dans l'attentat du Drakkar à Beyrouth.
Même Israël, pays occidental qui aurait dû connaître l'Orient compliqué mieux que tout autre, commit la faute stratégique d'abandonner un ami en rase campagne. En mai 2000, le premier ministre Ehud Barak ordonna subitement le retrait des forces israéliennes basés au Liban au sud du Litani, sans même avoir pris la peine de consulter ses alliés (majoritairement chrétiens) de l'Armée du Liban Sud - une alliance qui remontait à 1976. Israël qui, jusque là, était redouté au Levant, ne le fut plus. Le Hezbollah exploita aussitôt ce signe de faiblesse. Dans un grand discours à Bint Jbeil - auquel j'ai assisté - le secrétaire général du «parti de Dieu» chiite harangua quelques cent mille fidèles, pour célébrer avec eux sa «victoire» contre Israël. Dans la seconde partie de son discours, Nasrallah s'adressa aux Palestiniens pour leur dire que cela ne servait à rien de négocier avec Israël, qui ne comprenait selon lui que le langage des armes. Au mois de septembre suivant éclatait la deuxième intifada palestinienne, qui passa des pierres et des frondes aux Kalachnikovs et aux ceintures d'explosifs.
Israël, direz-vous, voilà une création de l'Occident que ce dernier n'a pas abandonné! Je n'ai aucun problème à ce que mon pays, la France, ait donné à Israël, son ami depuis sa naissance en 1948, la bombe atomique et les missiles qui vont avec. Il fallait, dans les années 50 et 60, empêcher que ce courageux petit pays pionnier ne fût détruit par les puissances arabes environnantes. Mais l'amitié suppose aussi le courage de donner les bons conseils. Israël se fourvoie en faisant tout pour saboter le futur État palestinien. Les territoires occupés agissent comme un lent poison sur la santé de l'État juif. Laisser un ami commettre des erreurs, c'est aussi une manière de l'abandonner. L'Amérique, qui a tant contribué à la création de l'État d'Israël, devrait aujourd'hui imposer un plan de partage territorial. Les cartes existent, qui ont été tracées par des hommes politiques israéliens et palestiniens de bonne volonté, lors de l'Initiative de Genève de 2003.
Après la défaite et la fin de l'Empire ottoman (1918), l'Occident s'est politiquement trop impliqué au Moyen-Orient, pour prétendre aujourd'hui l'abandonner à son sort."
Ref. Chrétiens persécutés : dans l'Orient compliqué, ne jamais abandonner ses amis
Les utopistes préconisent de mettre le dossier entre les mains de l’ONU. Excellent alibi pour les Ponce-Pilate. Mais ce « machin », comme dirait le Général de Gaulle, n’est absolument pas outillé pour gérer un dossier aussi complexe et dangereux.
Renaud Girard est grand reporter international au Figaro. Il a couvert les grands conflits des trente dernières années. Il est notamment l'auteur d'un ouvrage sur les guerres au Moyen-Orient, Pourquoi Ils se battent (Flammarion, 2006), sur son expérience de l'Afghanistan (Retour à Peshawar, Grasset, 2010) et son dernier ouvrage, Le Monde en marche, a été publié en 2014 aux éditions CNRS.
JPSC ( Belgicatho )