Yves Boulvin
est formateur en relations humaines, psychologue et consultant. Il organise depuis de nombreuses années des stages en entreprise,parallèlement à son activité de thérapeute. Il anime depuis plus de dix ans les émissions Foi et psychologie retransmises sur différentes radios francophones. Comme nous vivrions mieux si nous ne jugions plus les autres et prenions conscience de nos attitudes ! Voilà que je juge mon frère parce qu'il ne va pas à la messe. Je vais à l'église et je regarde si ceux qui vont recevoir la communion le méritent. Je sors de l'église et je ne peux m'empêcher de faire des commentaires sur l'homélie, la longueur de la messe, telle personne qui est partie avant la fin… Vais-je continuer à justifier de tels comportements ?
Deux messesDeux messes sont célébrées dans la même église, l’une après l’autre. Dans la première se trouvent rassemblées des personnes qui s'estiment en droit de juger, chacune entendant le faire dans le registre qui est le sien. Et voilà que le professeur de français ne peut supporter les erreurs d'élocution de celui ou celle qui fait la première lecture. Et voilà qu'un responsable local a du mal à accepter la façon dont le prêtre fait son sermon ou dit la messe. Tel musicien a les oreilles qui grincent devant la pauvreté musicale de l'organiste et des chants. L’agent d’entretien est obnubilé parce que le ménage n'a pas été fait, l'électricien parce qu'il manque une ampoule, cette dame, qui ne peut supporter le désordre, parce que les chaises sont mal rangées. C'est souvent dans notre propre spécialité que nous risquons de juger le plus.
Dans la seconde messe se trouvent des personnes recueillies qui viennent pour Dieu, pour avoir un cœur à cœur avec Lui, et ayant ouvert l’intelligence du cœur, elles passent facilement par-dessus les petits inconvénients du moment. Quelle profondeur dans la prière, quelle intensité, quelle beauté sur les visages ! Laquelle de ces deux messes était la plus fervente ?
Et si, dans une cathédrale, un prédicateur renommé frappe la foule par son érudition, ce n'est pas forcément lui qui touchera le plus le cœur des personnes qui ont soif de l’Amour de Dieu. Certains prêtres tout simples, qui n'ont pas la parole facile, débordent de tant d’amour qu’ils sont bien plus des témoins, des relais de l'Amour divin. Ainsi ce prêtre, qui était auparavant menuisier à Nazareth (cela ne s’invente pas), quelle beauté intérieure traversait sa pauvre élocution critiquée par certains !
Le Seigneur m’aime !Ne pas juger mon frère, c'est tout un apprentissage, un déconditionnement, une re-programmation, où je vais quitter des habitudes ancestrales rendues nécessaires par les guerres, où l'on jugeait les autres pour les abattre. J'ai à réapprendre à voir en relief et à ne plus juger comme je l'ai fait jusqu'à présent : même si cette personne ne s'habille pas d'une façon conforme à mon goût, pourquoi est-ce que j'y accorde tant d'importance ? Mon regard serait-il déformé? Pourquoi sa façon de s’habiller, qui est peut-être originale pour moi, est-elle moins bonne que la mienne ? Quel conditionnement me pousse à juger de la sorte ? Et puis, suis-je tellement marqué par les médias ou par mon milieu familial que j'en reste aux apparences et que je ne vois pas plus profondément les qualités de cette personne, et, en profondeur, son identité d'enfant de Dieu ? Est-ce que je sais voir en relief et plus au fond, et recevoir de chacun ce qui est son charisme propre ?
Je me souviens qu’un jour, à Paray-le-Monial, ayant dû garder pendant la durée d’une session un de mes enfants en bas âge et n'ayant donc pas pu assister aux enseignements, je n’avais pu vivre que la messe finale et m’étais effondré en pleurs lors de la communion, parce que le prêtre africain, au moment de me donner l'hostie, dit simplement ces paroles : « Le Seigneur t'aime, mon frère. » D'un seul coup, tout le trop-plein de l'année se trouva miraculeusement évacué par des pleurs de bonheur, de contrition, d'amour. J'ai ensuite, et très difficilement, essayé de retrouver ce prêtre. J'aurais dû comprendre qu'il avait été simplement un relais. Ayant fini par le retrouver, il s'est lancé dans de grandes explications théologiques qui, elles, ne m'ont pas touché. Il avait été le relais d'un don de Dieu dans le service qu'il rendait, au-delà même de ses caractéristiques personnelles.
Je ne vois que le bienAi-je fondé mes rapports avec les autres sur cette vision en relief où je perçois le don de Dieu à travers un frère ou une sœur, tout en voyant ses qualités et ce qui peut ne pas me convenir ? N'oublions pas cette prière de François d'Assise, Dieu de notre cœur (FL n° 222), où François demande à Dieu de « voir le monde avec des yeux tout remplis d'amour et de voir tes enfants comme tu les vois toi-même, et ainsi ne voir que le bien en chacun ».
À l'origine, Adam et Eve étaient dans l'innocence. Il n'y avait pas de critique ni de jugement en eux. C'est le serpent qui a introduit le doute, le jugement, les comparaisons et la critique. Je ne veux plus me complaire dans cette partie de mon hérédité, fruit du serpent ! Je veux retrouver, de façon libre, cette innocence originelle où chacun peut être un bien pour l'autre.
Dieu m’a remis tant de dettes
Alors, bien sûr, on peut dire : « Mais il y a bien le discernement, la vérité, Dieu est amour et vérité. » Mais je saurai que mon discernement est juste, que cette correction fraternelle est faite à bon escient, si je suis vraiment dans la paix et si je me sens dans l'amour en le faisant. Combien de "corrections" relèvent encore d'une habitude de juger ? Et puis, dans tout ça, si j’ai un peu mieux compris mon fonctionnement psychologique, mes failles, si j'ai accepté mes imperfections, comment pourrais-je les reprocher aux autres ? Le jugement est souvent la marque de personnes qui ont refusé de regarder, en elles-mêmes, leur partie blessée et leur propre durcissement de cœur.
Plus profondément encore, comment puis-je juger mon frère alors que Dieu m'a remis tant de dettes (cf. la parabole des deux débiteurs, Mt 18, 23-35) ? Ne devrais-je pas être particulièrement gêné de me prendre en flagrant délit de faire avec les autres ce que Dieu ne fait pas avec moi ? Qui suis-je pour juger ? Devrais-je donner des leçons à Dieu et lui reprocher d'être trop bienveillant ?
Alors, dans ma vie, je vais accueillir mes erreurs, mes fautes, mes failles comme des cadeaux qui vont me permettre de ne plus jamais juger mes frères et de les comprendre beaucoup mieux.
Tous frèresEt quelle paix intérieure, lorsque je ne vois plus autour de moi des ennemis, mais seulement des enfants de Dieu, plus ou moins conscients, plus ou moins ignorants de leur nature profonde. Nous sommes tous frères ; nous avons besoin les uns des autres. Si je ne bénis pas facilement, au moins puis-je me mettre dans la neutralité, et une neutralité bienveillante. Est-ce que je me demande vraiment, lorsque je m'assieds sur une chaise, si tous ceux qui ont permis sa construction avaient une vie exemplaire ? N'est-il pas beaucoup plus beau de leur être reconnaissant pour leur labeur, leur sueur, la conscience qu'ils ont mise dans leur travail ?
Aujourd'hui, on assiste à un grand brassage de populations avec toutes les difficultés que cela peut apporter, mais quelle bénédiction que de s'ouvrir à d'autres cultures, quelles richesses ! Juger, c'est retenir chez quelqu'un les excès que je peux lui reprocher. Bénir, c'est recevoir de lui ce qu'il a à m'apprendre. Nous sommes comme les pièces d'un puzzle, et dans un puzzle, chaque pièce est importante ; mais que chacune reste à sa place !
http://www.feuetlumiere.org/vivre-avec-lui/profondeurs-de-letre/je-ne-juge-plus.html