"François est un pasteur, proche du peuple,
comme Jean XXIII"Philippe Chenaux est professeur d'histoire de l'Église moderne et contemporaine à l'université du Latran (à Rome). A l'occasion du premier anniversaire de l'élection de François, il revient pour nous sur ce qui le rapproche ou le distingue des papes qui l'ont précédé.
Si on le compare à ses prédécesseurs, François est-il un pape différent ?Il y a une différence notable chez Jorge Mario Bergoglio, c'est qu'avant d'être élu, il n'avait aucune expérience romaine. Les autres papes, de Jean XXIII à Benoît XVI, ont tous étudié ou fait carrière à Rome. Jean-Paul II y a étudié, Benoit XVI y a fait carrière, notamment à la Congrégation pour la doctrine de la foi, donc il appartenait au sérail quand il a été élu. Or, non seulement ce n'est pas le cas de François, mais avant son élection, quand il était encore archevêque de Buenos Aires, il évitait autant que possible les voyages à Rome. C'est important dans la façon dont il approche aujourd'hui la réforme de la Curie avec un regard totalement extérieur, étranger, et même critique. Il apparaît comme quelqu'un de totalement extérieur.
Par ailleurs, François est non seulement un pape non romain, mais aussi un non-Européen. Il vient du « bout du monde », comme il l'a dit lui-même le soir de son élection. Venant d'Amérique latine, il a une autre expérience d'Eglise : une Eglise qui s'est toujours voulue proche du peuple. Il insiste beaucoup sur cette image de l'Eglise comme peuple de Dieu, peuple de fidèles.
Mais un autre point important à mon avis, c'est le rapport au concile Vatican II. François est un pape qui n'a pas vécu directement l'événement ; pour lui, le concile est comme une évidence. Contrairement à ses prédécesseurs, il en cite même assez peu les textes. Probablement d'ailleurs qu'il les connait moins bien, n'ayant pas participé à leur élaboration. Pour lui, c'est d'abord l'esprit de Vatican II qui compte : d'abord l'option préférentielle pour les pauvres, mais aussi la culture du dialogue et de la rencontre dont il parle beaucoup, et enfin le refus de condamner, de prononcer des anathèmes... L'Eglise, avec lui, est pleinement post-conciliaire. J’ajoute enfin que François est un pape jésuite, le premier pape jésuite de l’histoire. En cela, il se distingue de tous ses prédécesseurs (et pas seulement de ses prédécesseurs immédiats). C’est une identité qu’il revendique volontiers – beaucoup plus que son identité latino-américaine – et qui se reflète dans sa manière de gouverner et d’appréhender les problèmes.
Du point de vue du style personnel, en quoi se distingue-t-il ?Ce qui m'a immédiatement frappé, c'est qu'il a compris que pour toucher les gens il fallait des actes, il fallait être crédible. Et la crédibilité du message évangélique passe à travers le témoignage concret. Ce qui explique ce style nouveau, dépouillé, ce refus de tout le luxe, de toute manifestation extérieure de richesse. Il s'efforce – et je crois qu'il y réussit pour le moment – de redonner une crédibilité au message de l'Evangile, en le plaçant avant la doctrine. Ce qui ne veut pas dire qu'il renie la doctrine, mais il n'en parle pas beaucoup.
A titre de comparaison, Benoit XVI est un grand théologien, ses enseignements sont magnifiques, mais il touchait assez peu les gens, parce qu'il y avait peut-être un déficit d'incarnation dans son pontificat.
De quel pape récent se rapprocherait-il, en terme de profil ?
Il se veut un pasteur, ce qui le différencie très nettement de Benoit XVI, son prédécesseur immédiat, qui était un théologien. De ce point de vue, il se rapproche sans doute davantage de Jean XXIII que des autres, avec son approche non-intellectuelle des problèmes. C'est un pape qu'il cite beaucoup, et ce n'est pas un hasard s'il va le canoniser fin avril alors même qu'il n'y avait pas de second miracle ! Jean-Paul II même s'il s'est voulu un pasteur était un philosophe, un intellectuel, et Paul VI avant lui également. Cette façon que François a de vouloir être proche des gens, proche du peuple. Le refus d'une certaine pompe romaine, un style beaucoup plus simple, plus évangélique, tout ça le rapproche indiscutablement de Jean XXIII.
Le rapport avec Paul VI est moins évident, moins immédiat, mais François le cite beaucoup aussi. Il y a des grands textes de Paul VI qu'il cite volontiers, pour tout ce qui a trait à la dimension missionnaire de l'Eglise (en particulier l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi).
Au moment de son élection, on a entendu des comparaisons avec Jean-Paul Ier...Oui, c'était une comparaison assez pertinente, dans la mesure où Jean-Paul Ier venait aussi, à sa façon, de la périphérie, et n'avait aucune expérience curiale. Mais la comparaison s'arrête, comme son pontificat a duré juste un mois... Mais c'est vrai qu'au début, par certaines façons d'être, par son style, François pouvait aussi faire penser à Jean-Paul Ier.
L'élection de François a été perçue par beaucoup comme un souffle d'air frais. Ses prédécesseurs ont-ils connu un tel enthousiasme à leur arrivée ?
Au moment de leur élection, les papes – comme d'ailleurs la plupart des chefs d'Etat – bénéficient généralement de ce qu'on appelle un état de grâce... Cela a peut-être été un peu moins le cas pour Benoît XVI qui s'inscrivait vraiment dans la continuité de Jean-Paul II et qui n'avait pas une image très positive, mais c'est vrai pour tous ses prédécesseurs. Jean XXIII notamment, après le pontificat de Pie XII, a représenté un extraordinaire vent de nouveauté. Si on ajoute à cela l'annonce du concile, on a eu vraiment l'impression que tout était en train de changer, que l'Eglise entrait dans une ère nouvelle... Avec Paul VI peut-être un peu moins, puisqu'au fond il a été élu pour continuer ce qu'avait fait Jean XXIII, c'est-à-dire conduire le concile à terme. Avec Jean-Paul Ier aussi il y a eu cette impression de nouveauté, indiscutablement, mais enfin... le pontificat s'est quand même terminé assez vite. Et avec Jean-Paul II également : ce pape venu de l'Est a marqué l'opinion dès le départ et a suscité une grande espérance. Mais il est vrai que ce phénomène est peut-être plus fort encore avec François qu'avec d'autres...
Ces espérances ont-elles été suivies par de réelles réformes ?Certains papes ont été plus réformateurs que d'autres. Paul VI, par exemple, l'a vraiment été, même si cet aspect est aujourd'hui un peu tombé dans l'oubli. On retient plutôt l'image d'un pape angoissé, soucieux de défendre la doctrine, le pape d'Humanae Vitae... Mais il ne faut pas oublier qu'au début de son pontificat il était très populaire et qu'il a voulu vraiment changer les choses. Pensons à la réforme de la liturgie ou encore à la réforme de la Curie.
Au niveau des structures, Jean-Paul II a sans doute beaucoup moins réformé que Paul VI.
Benoit XVI a réformé des choses notamment par son souci de faire toute la lumière sur tous les scandales qui avaient pu avoir lieu, comme les cas de pédophilie. Cette volonté de transparence doit indiscutablement être mise au crédit de Benoit XVI, même si ce n'est pas techniquement une réforme des structures et des institutions. Après, ce que retiendra l'histoire, c'est évidemment aussi ce geste de la démission, qui est un acte en soi tout à fait révolutionnaire, et qui a permis sans doute l'élection de François.
Quand on parle de réforme de la Curie, on évoque souvent la question de la collégialité. François peut-il vraiment faire évoluer le fonctionnement de l'Eglise à ce niveau ?
Sur ce point, il y avait eu de grandes espérances avec le concile. Mais il y a eu un retour à une forme de centralisation dans le gouvernement de l'Eglise, malgré la convocation régulière de synodes. Dans les discours et les déclarations officielles, on invoque toujours la dimension collégiale, mais dans les faits les décisions se prenaient à Rome, et souvent sans beaucoup de concertation avec les évêques. Je pense que le pape actuel s'en rend compte et qu'il souhaite redonner un nouvel élan à cet esprit de collégialité qui s'est un peu perdu.
Sans doute François aurait-il tendance à être plus autoritaire à titre personnel, et ça s'est peut-être vu dans certaines nominations qu'il a pu faire ou dans des décisions qu'il a pu prendre depuis son élection. Mais ce qu'il a pu dire sur sa façon de gouverner dans l'interview donnée aux revues jésuites était assez juste : il serait peut-être porté naturellement à prendre les décisions lui-même, d'autorité, mais il se rend bien compte qu'il faut faire jouer la collégialité, et qu'au fond les décisions sont meilleures lorsqu'elles sont prises en concertation avec d'autres. Cet aspect a aussi à voir avec sa vision de l'Eglise comme peuple de Dieu, et non pas simplement comme structure hiérarchique de pouvoir.
Source :
http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/francois-est-un-pasteur-proche-du-peuple-comme-jean-xxiii-19-02-2014-50072_16.php