Le cardinal André Vingt-Trois est interrogé dans La Croix à propos des attentats et de ce qui a suivi. Extraits :« […] L’idée que l’on puisse transformer les mœurs en imposant un enseignement scolaire sur la laïcité est une dangereuse utopie. La laïcité ne s’enseigne pas comme le français ou les sciences naturelles. Elle n’est pas une théorie philosophique, mais une pratique de la vie commune construite sur le respect mutuel. Elle s’expérimente à l’école, mais aussi en famille et dans la vie sociale. Si les cours consacrés aux religions sont une bonne chose, ils ne remplaceront jamais la capacité des éducateurs à prendre en compte la réalité qu’ils ont en face d’eux : des jeunes avec des convictions qui méritent d’être entendues, éventuellement discutées, mais ne peuvent sûrement pas être occultées par un système pédagogique. Personne ne fera renoncer les gens à ce qu’ils croient sous prétexte que la République est laïque.
Comment retrouver un sentiment de concorde ?
Contrairement aux logiques médiatiques, faire évoluer les mentalités nécessite beaucoup de temps et d’investissement humain. Voter une loi ou dépenser des sous ne suffit pas. Il faut aider les gens à sortir de leurs intérêts particuliers et promouvoir toutes les actions de solidarité et de générosité. Rien ne remplacera une implication de chaque jour auprès des jeunes dans les quartiers, les établissements scolaires, afin de leur faire prendre conscience qu’ils ne peuvent vivre sans les autres. Être juif, musulman ou chrétien ne peut être une condition ou un empêchement pour entrer en relation les uns avec les autres. En accueillant chacun dans le respect de ses convictions, l’enseignement catholique est un lieu où s’expérimente depuis longtemps ce vivre-ensemble.
Les religions ont-elles un rôle particulier à jouer dans ce domaine ?
Evidemment ! Et pas seulement pour servir de porte-drapeau à l’apaisement des conflits en posant sur la photo, à l’invitation des pouvoirs publics. Les religions travaillent sur les réalités de la société et contribuent au bien commun comme elles le peuvent avec leur identité, leur originalité, leur message. C’est très bien de vouloir rassembler les religions, mais à condition de faire droit à ce qu’elles représentent réellement. Nous ne sommes pas les auxiliaires religieux de la République. […]
Est-ce à l’État de faire émerger un islam de France ? On ne fabrique pas une religion par la voie administrative. Les responsables politiques ont souvent à l’esprit le modèle catholique fondé sur une hiérarchie centralisée. Or, ce n’est pas le cas de l’islam. Je comprends néanmoins la volonté d’avoir des interlocuteurs en construisant des instances représentatives. Si le rôle de l’État est d’assurer la sécurité et la liberté de culte, l’islam de France reste l’affaire des musulmans de France.
Quant aux catholiques, beaucoup défendent la liberté d’expression tout en souffrant de la dérision dont ils font l’objet… Cette question ne concerne pas seulement les chrétiens mais relève d’abord du droit : peut-on impunément tenir des propos orduriers sur les gens et sur leur croyance sans recours judiciaire possible ? Par ailleurs, la dérision accompagne d’une certaine façon le christianisme depuis ses débuts. « Heureux si l’on vous persécute en mon nom… » Un Évangile qui ne suscite plus aucune résistance n’augure pas grand-chose de bon. Aujourd’hui notre situation en France n’a rien de comparable avec ce que vivent nos frères au Moyen-Orient, en Afrique ou dans d’autres parties du monde par fidélité à leur foi. Les victimes ne sont pas seulement des ressortissants égyptiens, irakiens ou syriens, ils sont avant tout chrétiens. Nous ne les oublions pas. »