Tragique incendie à l'Isle-Verte, au Québec

L'Isle-Verte: un curé
et un évêque éplorés

Le curé de la paroisse de L'Isle-Verte, Gilles Frigon,
était touché du soutien de son évêque, Mgr Pierre-André Fournier.

(L'Isle-Verte) Le curé de la paroisse de L'Isle-Verte est inconsolable. Gilles Frigon aimait les bénéficiaires de la Résidence du Havre comme ses enfants. Il ne peut arriver à se faire à l'idée qu'une trentaine d'entre eux soient disparus. Les yeux rougis par la douleur, c'est dans une large étreinte qu'il a accueilli, dans son presbytère, l'évêque de Rimouski, Mgr Pierre-André Fournier.

«C'était du bon monde», décrit le père Frigon, la voix étouffée par les sanglots. «Ce sont des saints et des saintes. Ils ont travaillé toute leur vie, ont élevé leur famille. C'était du monde d'une générosité débordante. Ils ne méritaient pas ça!»

Natif de Montréal, le père capucin, qui est le curé de la paroisse de L'Isle-Verte depuis une dizaine d'années, se console du soutien apporté par son évêque. «C'est terrible, quand on pense qu'une personne âgée qui décède peut avoir environ 120 personnes parmi ses proches», souligne Mgr Fournier en s'essuyant les yeux.

«Je suis aussi allé à Lac-Mégantic lors de la tragédie et lors de l'accident de Saint-Bernard. Toute cette grande solidarité, avec les politiciens, les pompiers, les policiers, les travailleurs sociaux et les médias, c'est d'une grande valeur. Pour le personnel de la résidence, ça doit être une catastrophe immense. Je vais les avoir dans mes intentions de prière. C'est important qu'ils aient du support pour ne pas être seuls là-dedans.»

Lorsque le pasteur de la paroisse a célébré la messe du jour de l'An avec eux, à la Résidence du Havre, il n'aurait jamais pu s'imaginer qu'une telle horreur les attendait quelques jours plus tard. «Les souvenirs remontent», soutient Gilles Frigon dans des mots à peine audibles, tant il pleure. «Ça me touche, mais c'est pas juste à cause de mes paroissiens que j'aimais profondément. C'est aussi à cause des conséquences sur toute la communauté, la région, la province.»

«C'est souffrant...»

«Ces gens-là priaient pour leurs enfants et leurs petits-enfants, poursuit-il. C'est ça, la famille de l'Église. Ce sont des priants qui sont rendus au ciel. Mais c'est pas facile. C'est souffrant... J'aurais bien aimé qu'ils entrent au ciel d'une autre façon.»

L'innommable ne réussit toutefois pas à ébranler sa foi. «La vie est un miracle, mais elle est d'une telle fragilité, philosophe le curé. C'est dans le drame que la foi augmente. Dieu ne nous met pas à l'abri du drame. Il l'a vécu lui-même sur la croix. Il nous donne la force d'être plus fort. La force de l'être humain qui ressort dans un drame et la foi, c'est la même chose.»

Le religieux en profite pour saluer le courage des pompiers. «Ce sont des gars extraordinaires, estime-t-il. Ils auraient pu faire autre chose. Ce sont des gens extrêmement généreux.»

Les disparus manqueront beaucoup au père Frigon, qui se rendait mensuellement à la Résidence du Havre pour célébrer l'eucharistie. «C'était tous des pratiquants, souligne-t-il. Même si certains souffraient de la maladie d'Alzheimer, ils se souvenaient de leurs prières, que ce soit le Notre Père ou le Je crois en Dieu.»

Le curé de l'église La-Décollation-de-Saint-Jean-Baptiste ouvrira les portes de son temple vendredi et samedi à tous ceux qui ressentiraient le besoin de s'y retrouver. «L'église sera ouverte pour tous ceux qui voudraient se recueillir, se réunir ou pleurer», indique-t-il.

Le père Frigon tiendra également une cérémonie à la mémoire des disparus dimanche à 14h. «J'invite spécialement tous ceux qui voudraient venir faire des témoignages sur leurs proches disparus», lance-t-il.

Source : http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/justice-et-faits-divers/201401/24/01-4731904-lisle-verte-un-cure-et-un-eveque-eplores.php?fb_action_ids=581002111982268&fb_action_types=og.recommends&fb_source=other_multiline&action_object_map=[613827535355144]&action_type_map=[%22og.recommends%22]&action_ref_map=[]

«Va-t’en. On va tous y passer»

La dernière parole d'une mère à son fils,
lors de l'incendie de la Résidence pour personnes âgées
à l'Isle-Verte



Madame Angéline Guichard, morte sur le balcon de la Résidence du Havre à L’Isle-Verte,
a prononcé cette phrase définitive afin d’épargner un fils venu à son aide,
mais incapable de la sauver.

«Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.» Cette parole de saint Jean l’évangéliste (15:13) me revient en mémoire ce matin. La mère de 12 enfants et de 28 petits-enfants a sauvé la vie de son fils en sacrifiant la sienne. La vieille dame aurait pu s’accrocher à lui et s’effondrer. Or, ce cri du cœur, celui d’une mère qui exige l’obéissance de son garçon est à l’image des valeurs anciennes d’un certain Québec inconnu des nouvelles générations et qui se décline au passé.

Ces vieux — et il faut voir dans ce mot plus d’affection et de respect que dans l’expression technocratique «gens du troisième âge» ou celle hypocritement jovialiste de «gens de l’âge d’or» — sont la mémoire de tout le Québec.

Cette tragédie qui décapite le village de ceux et de celles qui y sont nés, y ont trimé dur, se sont aimés, ont souffert et se sont réjouis, il faut bien se résoudre à la qualifier de destin. C’est aussi le destin qui explique la survie d’autres pensionnaires et de cette dame transportée à l’hôpital dans les jours précédents et qui a donc échappé à la mort. Son heure n’était pas arrivée, comme on dit.

Devant les faits divers qui nous secouent et nous émeuvent, l’on est porté à chercher les causes. Dans ce cas-ci, les gicleurs ou plutôt leur trop petit nombre deviennent l’explication. Loin de moi l’idée d’ignorer les mesures de sécurité, les irresponsabilités potentielles, mais le principe de précaution le plus parfait n’empêchera jamais toutes les catastrophes. La Résidence du Havre n’a rien en commun avec la MMA du Lac-Mégantic. Seule la mort d’innocents les relie.

Les victimes du village de L’Isle-Verte vivaient tranquillement leurs dernières années de vie dans un décor familier, paisible et avant tout humanisé. Les urbains oublient qu’il existe un Québec de villages où non seulement l’on se connaît, mais où les filiations se transmettent depuis des décennies, voire des siècles. L’anonymat est inexistant dans toutes les L’Isle-Verte du Québec. Le deuil est donc toujours collectif et le «Je me souviens» s’impose dans son sens le plus fort.

Par ailleurs, le froid extrême appelle le feu. C’est le prix à payer pour vivre dans ce pays de neige, de glace et de froidure terrifiante. Les images des débris pétrifiés de glace sont d’une beauté effarante quand on sait ce qu’elles recouvrent. Mais la chaleur du cœur des habitants comme un défi à cette tragédie hivernale permettra de réconforter une population dont chacun des membres est endeuillé.

Après que les médias se seront retirés de ce bûcher de stalactites, la vie reprendra ses droits. Et madame Angéline Guichard, où qu’elle soit, continuera de protéger ses enfants.

Denise Bombardier

Source : http://www.journaldemontreal.com/2014/01/24/va-ten-on-va-tous-y-passer